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LA GUERRE EN 1866.

200,000 hommes, à peu près la moitié du nombre que les Italiens comptaient lui opposer. En acceptant une aussi grande différence de nombre, les Autrichiens étaient sans doute conduits par la confiance qu’ils avaient dans la force de leurs positions, et cette confiance était légitime. Les Alpes du Tyrol, qui leur appartiennent et qui dessinent presque toute leur frontière, constituent un pays d’une difficulté extrême, que les armées ont toujours respecté. C’est une forteresse naturelle, occupée par une race de montagnards passionnément dévoués à la maison d’Autriche, guerriers, habiles au maniement des armes, et que la connaissance des localités non moins que l’amour exalté de leur pays transforme en adversaires des plus redoutables quand ils défendent leurs montagnes. Nous l’avons appris par expérience en 1809 ; le général Garibaldi aurait pu l’apprendre à son tour en 1866, s’il est vrai, comme on l’assure, qu’il voulût réellement tenter avec ses volontaires l’invasion du Tyrol. C’est un territoire que les armées ont toujours évité ou tourné. Quand la guerre s’est faite de l’est à l’ouest ou de l’ouest à l’est, c’est par les vallées du Danube ou du Pô que les armées prenaient leur direction ; quand la guerre se faisait du nord au sud, de l’Allemagne en Italie ou réciproquement, c’était toujours par les pays bas qu’ont créés les atterrissemens des cours d’eau descendant des Alpes pour se rendre dans l’Adriatique par la Vénétie, c’est-à-dire par le fameux quadrilatère d’aujourd’hui, que passaient les armées.

C’est par là qu’est passé Napoléon poussant sa marche victorieuse jusqu’à Leoben, non point que ce fut facile de son temps, mais parce qu’il ne pouvait passer ailleurs. Les innombrables cours d’eau, les fleuves comme le Pô et l’Adige, les lacs, les étangs, les marais, qui couvrent le terrain et qui en font le séjour empesté de la fièvre, présentaient déjà de son temps des obstacles sérieux, si sérieux même qu’il lui fallut illustrer par une victoire presque chacun des villages que rencontra son armée. La plupart des noms que porte la carte de cette région nous rappellent des noms glorieux pour nos armes, et sont devenus populaires chez nous, témoignant par cela même de l’importance des avantages que la disposition topographique offre à la guerre défensive. C’était déjà une route très difficile, mais c’était la seule qui fût accessible. Or, depuis trente ans, la science de l’ingénieur militaire s’est employée à faire l’étude de tous les obstacles que la nature a créés dans le pays, à en construire un système, à le compléter par des travaux qui ont coûté des sommes énormes, et qui ont fait de l’ensemble une des plus fortes positions militaires qui soient dans le monde. On l’appelle le quadrilatère, et il est bien nommé, car, pour se rendre compte de la situation, il ne faut pas seulement considérer les quatre places fortes