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tombées devant la défaite, que l’on vit dans toute leur étendue les funestes conséquences de cette guerre sans exemple, et qu’on se rendit compte de la ruine générale. Pendant quelques jours, les habitans du sud contemplèrent avec une sorte de stupeur et un abattement profond l’état auquel leur patrie était arrivée : les caisses vides, les villes détruites, les campagnes dépeuplées, la fortune publique et les fortunes privées également anéanties ; mais ce sont gens pratiques et vigoureux qui ne s’abandonnent pas facilement au désespoir. La matière première, les outils, la terre et les bras leur restaient encore, les vainqueurs n’avaient pu les enlever ; quant à l’argent, on en trouverait : le nord ne demandait pas mieux que d’en fournir. On allait rentrer dans l’ancien état de choses, d’où une prospérité si grande était née ; le nord prêterait de l’argent, le sud cultiverait la terre à profits communs. Avec des peuples animés de ce sens pratique et doués d’une vitalité si énergique, l’œuvre de reconstruction ne saurait marcher lentement.

Les tiraillemens qui se manifestent entre les différens élémens actifs de la république ne prouvent rien ; le soin intelligent de leur intérêt privé qui anime tous les membres de la confédération nous est un sûr garant de la promptitude avec laquelle s’opérera la réorganisation ; nous comptons plus sur cela que sur les discours, éloquens sans doute, des membres du congrès. L’intérêt privé au sein d’une nation bien douée finit toujours par être d’accord avec l’intérêt général. Au début de la rébellion, on était persuadé en Europe que la disparition de l’esclavage supprimait toute possibilité de cultiver le coton aux États-Unis, et que la culture du sucre et du tabac était compromise. Les nègres, disait-on, sont paresseux, dépourvus d’esprit industrieux, ils ont peu de besoins, pas du tout d’ambition. Voyez ce qui s’est passé aux colonies anglaises, françaises et espagnoles après l’affranchissement. Que sont devenues Haïti, cette burlesque contrefaçon des institutions d’Europe, la Jamaïque, où des in-folio de lois n’ont abouti qu’à une sanglante rébellion ? Il y a du vrai dans ces remarques, mais entre l’Amérique et les pays dont on invoque l’exemple aucune comparaison n’est possible. À Saint-Domingue, les noirs restèrent maîtres du territoire et livrés à eux-mêmes ; ils restèrent ce qu’ils avaient été sous leurs anciens maîtres, futiles, changeans, incultes, faciles à dominer, quoique enclins à la révolte ; il en résulte qu’ils sont livrés à une anarchie chronique. À la Jamaïque, l’élément blanc était en infime minorité, et les blancs, colons, fonctionnaires ou magistrats, venus de la mère-patrie pour faire fortune, n’aspiraient qu’à y retourner. Que leur importait l’avenir de la colonie ? Leur grand souci, c’était de retirer de ces nègres, dont l’émancipation paraissait d’un bout à