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rendu compte à son ami de tout ce qui s’était passé. Il y a, sur les conseils du grand orateur dans la question de la fuite, un point fort délicat sorti de la récente publication de M. d’Arneth, et qu’il est difficile de concilier avec l’opinion jusqu’ici connue de Mirabeau. On sait, par tout ce que renferme le livre de M. de Bacourt, que le nouveau conseil de Marie-Antoinette répugnait avant tout à la guerre étrangère, et cependant les archives de Vienne nous fournissent la lettre suivante de la reine au comte de Mercy, en date du 12 juin 1790 :

« Il me semble qu’un point des plus raisonnables du plan de M.[1], est, si la paix se soutient entre la Prusse et l’Autriche, d’engager ces deux puissances, sous prétexte des dangers qu’elles peuvent courir elles-mêmes, à paroître, non plus pour faire une contre-révolution ou entrer en armes ici, mais comme garans de tous les traités de l’Alsace et de la Lorraine, et comme trouvant fort mauvais la manière dont on traite un roi[2]. »

Et plus loin, dans la même lettre, elle propose à l’ambassadeur de lui envoyer de nouveau La Marck pour lui expliquer les plans de Mirabeau sur l’Allemagne.

En désespoir de cause et à la vue des circonstances arrivées à l’extrême, Mirabeau aurait-il modifié ses plans et fini par reconnaître, dès le milieu de 1790, qu’il n’y aurait de salut pour la monarchie qu’en s’appuyant vers la frontière de l’assistance d’un cordon de troupes étrangères, l’arme au pied? Des lacunes, qu’on rencontre précisément en ce moment de 90, au livre de Bacourt, dans les mémoires de Mirabeau, empêchent de se bien rendre compte des limites fixées par lui à une semblable concession, si opposée à ses premiers sentimens. Il est plus que présumable que les paroles de la reine vont au-delà de la pensée de son conseil, et néanmoins, quelque atténuation qu’on y apporte, on ne saurait les supprimer tout à fait. Ce qu’il y aurait de mieux à dire, c’est que la reine elle-même dépassait dans son expression sa propre pensée. Et de fait, quand les circonstances devinrent encore plus urgentes, ce n’est point une invasion étrangère qu’elle réclama; elle essaya, comme nous l’avons déjà dit, de combattre en négociant; elle ne cessa de condamner les témérités de l’émigration et de résumer ses efforts, à leur dernière phase, en un congrès armé, en un cordon de troupes étrangères respectant la frontière comme une barrière inviolable.

Le curieux en tout cela, c’est que M. Geffroy se place, en discu-

  1. Mirabeau.
  2. Arneth, Marie-Antoinette, Joseph II et Léopold II. p. 130.