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teurs, M. le comte d’Hunolstein, avait provoqué de lui-même l’examen; M. Feuillet, lui, s’est irrité, et la publicité qu’il a donnée, il y a déjà six mois, à son langage tout au moins peu mesuré, a conduit pour ainsi dire malgré eux dans la carrière ceux-là mêmes qui se proposaient de garder et qui avaient gardé en effet jusqu’alors une excessive réserve. En vérité il ne devra accuser que lui seul si le résultat n’est pas à son entière satisfaction.

J’ai contesté d’abord l’authenticité de quelques lettres attribuées à Louis XVI. Dès le commencement du siècle, une fausse correspondance de ce roi fut fabriquée par Sulpice de La Platière et Babié. Ce dernier a raconté vers la fin de sa vie comment, l’idée leur étant venue à tous deux de hasarder, pour gagner quelque argent, cette petite spéculation, ils se mirent à l’œuvre. « Tous les matins, dit-il, je me rendais chez Sulpice de La Platière, et là, en prenant du thé, nous fabriquions quelques lettres; quand nous en eûmes une quantité suffisante; nous vendîmes notre travail à M. L..., qui nous en donna cent louis. » On n’est pas plus franc; nous aurions besoin, nous aussi, de pareilles confessions et de plus complètes encore, car de nos jours on ne s’est pas contenté d’inventer des lettres, on a fabriqué des autographes.

J’ai discuté en premier lieu une prétendue lettre de Louis XVI affirmant qu’il a été entendre à Paris l’opéra d’Iphigénie en Aulide, de Gluck. J’ai dit : Il est de tradition que le roi n’allait pas de Versailles aux spectacles de Paris; le roi n’assistait pas à cette représentation du 13 janvier 1775; il faut donc que la lettre soit fausse. M. Feuillet répond que le roi y était incognito, « une lettre de Gluck l’atteste. » A la bonne heure, voilà une démonstration. Elle m’étonne, car les journaux du temps, qui ne taisent rien de la cour, parlent au long de cette soirée, énumèrent avec soin les personnes royales qui y sont présentes, et ne nomment pas le roi. Si je consulte le Journal manuscrit de Louis XVI, où sont marquées avec un soin minutieux toutes ses sorties, je lis, à la date du 13 janvier 1775 : « tiré aux lisières, tué 141 pièces; » pas un mot de plus. Louis XVI allant à l’Opéra de Paris après une journée si laborieuse, singulier démenti à toutes ses habitudes. L’incognito m’étonne quand le roi dit à son ministre qu’il a complimenté l’auteur après le spectacle, et qu’on doit préparer un présent; tout cela est d’allure bien officielle après un incognito si sévère;... mais enfin, dit M. Feuillet, il y a une lettre de Gluck. Voyons la lettre. Est-elle de bonne provenance? est-elle autographe? Mais quoi! M. Feuillet ne répond à aucune de ces questions; il ne produit pas même la pièce de lui connue qui serait son seul appui... Que veut-il que nous fassions de sa prétendue preuve? Jusqu’à ce qu’il ait publié ce document avec des témoignages suffisans d’authenticité, nous sommes bien forcés de