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de l’Europe un monarque entouré de princes grands vassaux. Ce sera pittoresque et chevaleresque. Les rois à qui la Prusse laissera leurs territoires, les grands-ducs, les ducs et les électeurs de la confédération allemande du nord seront des feudataires de la couronne de Prusse, ils conserveront l’administration intérieure de leurs états; leurs troupes seront commandées par la Prusse; les relations extérieures seront dirigées par Berlin. Voilà les effets de la modération du roi de Prusse, et il ne faut pas trop s’en plaindre, puisqu’ils amènent une combinaison piquante dans le carnaval humain, et entourent un roi suprême d’un cortège de princes vassaux à cette époque bizarre où la nation la plus avancée de la terre a pour chef un ancien tailleur.

Voilà pour la modération. À ce prix, dit-on, le loyal et excellent prince qui gouverne la Saxe, le vieux roi Jean, conservera sa couronne, et un succès que la diplomatie française obtint même après nos malheurs de 1815, le maintien de la Saxe, ne sera atténué qu’en partie. À ce prix encore, l’infortuné roi de Hanovre, ce guelfe aveugle égaré dans les troubles prosaïques du XIXe siècle, conservera peut-être quelques lambeaux de son royaume. La portée grave de la réorganisation de l’Allemagne, c’est l’établissement de la nouvelle confédération du nord qui, par quelques annexions importantes, reliera la Prusse orientale à la Prusse rhénane, et placera dès à présent plus de trente millions d’Allemands dans le cadre des institutions militaires prussiennes. La modération de la cour de Berlin est de simple forme, et ne correspond qu’à une transition qui ne sera point de longue durée.

On en peut dire autant de la générosité avec laquelle la Prusse, après avoir éconduit l’Autriche de la confédération, laisse les états du sud à eux-mêmes. Là aussi on ne fait qu’ouvrir une situation transitoire. Certes les Allemands du sud ont peu d’affection pour le système prussien : les brutalités exercées, au scandale du monde civilisé, par les généraux prussiens sur la ville de Francfort, n’annoncent pas non plus que le gouvernement prussien se pique de tendresse pour des populations compatriotes qu’il subjugue au nom de l’unité de race et de langue. Comment veut-on cependant que les Allemands du sud résistent longtemps à la sollicitation des intérêts économiques, à l’ambition instinctive d’appartenir à un des plus grands états de l’Europe, à cette force d’attraction que les grandes masses dans le monde politique comme dans le monde matériel exercent sur les corps faibles qui les entourent? Peut-on croire qu’un grand parlement existe de longs jours avant que les états du sud puissent supporter d’en être exclus, que la nouvelle Allemagne du nord puisse jouer un grand rôle dans les affaires européennes sans que les Allemands d’outre-Mein désirent s’associer à cette influence? Si on laisse s’établir et se consolider la nouvelle domination prussienne, il faut s’y résigner, il faut s’attendre à voir avant peu d’années quarante-cinq millions d’Allemands se réunir sous la direc-