ap- qu’avec une population de vingt-deux millions d’âmes elle a pu mettre en un mois sept cent mille hommes sous les armes, et qu’elle a été en état d’engager à la fois plus de quatre cent mille hommes dans les opérations actives. On a par là une idée de ce que sera sa puissance quand elle aura ajouté dix ou douze millions d’âmes à ses ressources de recrutement militaire. La Prusse pourra alors mettre sur pied un million d’hommes au début d’une guerre, et lancer en campagne sept ou huit cent mille hommes. Il n’y a plus à parler légèrement d’une semblable capacité militaire; on connaît aussi aujourd’hui la qualité des troupes que la Prusse sait former. Ses soldats sont, en immense majorité, d’énergiques et intelligens travailleurs, ils savent lire et écrire, leur esprit est exercé, et le croisement de l’esprit civil et du métier des armes semble accroître en eux la solidité du caractère et de la conduite. Nous savons qu’ils sont commandés par des officiers savans et fiers. Une pareille puissance militaire doit nous donner à penser. Nous ne pouvons pas laisser s’élever un doute sur les titres de l’armée française à se croire et à être réputée la première armée de l’Europe. Les hommes compétens disaient à la chambre dans la dernière session qu’avec notre organisation des réserves et notre levée annuelle, pourtant si épuisante, de cent mille conscrits, notre armée disponible était de six cent mille hommes. Ces chiffres seront-ils suffisans pour nous mettre au niveau de la puissance prussienne? Cela nous paraît douteux. Grâce au système de leurs landwehrs, les Prussiens pourront avoir un effectif en activité inférieur au nôtre, en restant prêts à mettre sur pied, à tout événement, un effectif de guerre supérieur à celui de la France. Comme il n’est point permis de songer à porter le contingent annuel à plus de cent mille hommes, il y aurait lieu d’examiner si le soin de la sécurité nationale ne nous conseillerait point de refondre nos institutions militaires en faisant au système prussien d’intelligens emprunts. Voilà le premier intérêt auquel doivent veiller le gouvernement et notre chambre représentative. Une pensée plus élevée et inspirée d’un patriotisme plus prévoyant se hâterait d’unir aux précautions militaires un grand et salutaire effort moral. Une chose rendrait à la France en Europe l’initiative politique et la sécurité complète, nous n’avons point la vanité de dire la prééminence. Si notre époque n’est malheureusement point une ère pacifique, si l’esprit de conquête et d’usurpation séduit et entraîne les cabinets, si le militarisme et son cortège habituel de préjugés et d’instincts barbares pèsent sur les peuples, la cause certaine en est dans la marche rétrograde que les idées et les pratiques libérales ont suivie en Europe depuis une période qui commence à devenir bien longue. Il est hors de doute que le jour où la France reprendra son essor libéral, son initiative et son exemple changeront l’état moral de l’Europe, et ramèneront dans les relations internationales la confiance et la sécurité. La paix du monde ne sera point alors suspendue à des machinations d’hommes d’état fort
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