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qualité d’étranger a sans doute ses inconvéniens, qui sont une moindre connaissance des faits et des hommes, des intérêts et des passions; mais on peut triompher de cet obstacle par un long séjour dans la contrée dont on veut parler au public, et par une étude attentive. Alors que d’avantages n’a-t-on pas sur un régnicole! Le jugement de l’écrivain n’est troublé ni par les prétentions nationales, ni par l’inévitable faiblesse que ressent chacun de nous pour les idées, pour les préjugés, pour les sentimens qui dominent dans le milieu où nous avons grandi et vécu.

À ce titre, nous avons lu avec autant de confiance que de plaisir deux ouvrages d’étendue fort inégale, consacrés à l’Italie. L’auteur, M. Rodolphe Rey, est Genevois; il a longtemps vécu au midi des Alpes, il fait de fréquens voyages dans ce pays aimé du soleil et désormais de la liberté; il a, pour ainsi dire, deux patries, sans que l’amour d’élection que lui inspire l’une diminue en rien son culte filial pour l’austère cité de Calvin. L’Histoire de la renaissance politique de l’Italie embrasse les différentes révolutions italiennes depuis l’année 1799, c’est-à-dire depuis l’heure où la révolution française a semé ses féconds et généreux principes sur cette terre si cruellement éprouvée, jusqu’à la mort à jamais regrettable de Cavour. La domination française en Italie, la lamentable restauration dans laquelle le patriotisme un instant égaré des plus nobles cœurs, de Confalonieri et de Foscolo par exemple, crut voir, en haine du despotisme impérial, une espérance si tôt déçue de liberté; les conspirations incessantes de ces sociétés secrètes qui ont fait au carbonarisme une célébrité européenne; l’éclosion inattendue de ces deux brillantes écoles qui, sous la conduite de Manzoni et de Leopardi, ont donné une quatrième renaissance littéraire à la patrie de Dante, du Tasse et d’Alfieri; les révolutions nombreuses qui depuis 1821 ont si souvent prouvé au monde que l’Italie ne pouvait rester plus longtemps sur son lit de douleur; les premiers essais de la vie parlementaire, si heureux en Piémont; les rapides et brillans combats de la guerre de délivrance; les annexions qui ont enfin donné à presque tous les Italiens la patrie de leurs rêves, quel sujet pour un esprit capable de goûter les grandes idées, pour un cœur ouvert aux émotions généreuses! Une telle matière aurait peut-être exigé deux ou trois volumes : M. Rey nous semble étouffer un peu dans les limites étroites qu’il s’est imposées, et un autre historien pourra quelque jour donner au récit de cette épopée moderne de plus amples développemens. C’est du moins une satisfaction de trouver dans ce livre plus de choses que de mots, et de suivre un guide dont l’honnêteté scrupuleuse consulte et pèse tous les témoignages, le mémorandum du fameux absolutiste piémontais Solaro della Margherita en même temps que les histoires modérées de Farini, Lafarina, Ranalli, Gualterio, les mémoires démocratiques de Montanelli comme les publications maz4nienncs de Capolago. Ami de l’Italie, M. Rodolphe Rey l’est plus encore de la vérité : il la dit, même quand elle peut déplaire, sachant bien qu’il sert par là ceux qu’il condamne à l’occasion.