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l’on venait à découvrir le secret qui souillait mon intérieur. Un homme qui se respecte aussi scrupuleusement que je l’ai fait toute ma vie sait très bien qu’il aura sa revanche devant l’opinion. Ce n’était pas, on l’a bien vu, pour préserver ma réputation, c’était pour empêcher le public d’avilir et de briser ma malheureuse femme, que j’avais réduit par la force Sixte More au silence.

Quand je me fus mis en présence du blâme à infliger et de la leçon à donner, je dus séparer les deux causes et faire une distinction entre les coupables.

Lequel était le plus coupable ? Par le fait et en apparence, c’était Tonino. La perversité de ses instincts était flagrante ; mais, comme intelligence et comme raisonnement, il était très inférieur à Félicie. Sa conscience avait été moins avertie ; son éducation morale, entreprise tardivement par moi, avait été interrompue et vite effacée par les circonstances. S’il trouvait dans sa femme une tendresse aveugle, il n’y trouvait aucune résistance sérieuse à ses mauvais penchans, aucune vive lumière pour se diriger. Il était réellement l’élève et la création de Félicie. C’est elle seule qui eût pu le rendre chaste, sincère et désintéressé. Elle n’avait pu lui donner la droiture et la chasteté qu’elle n’avait pas ; le désintéressement qu’elle avait, elle n’avait pas su le lui faire aimer et comprendre. Au lieu d’agir sur lui par l’esprit, elle l’avait laissé réagir sur elle par les sens. Le jour où j’avais surpris cet enfant de son cœur baisant ses cheveux, j’avais surpris aussi un sourire mêlé à la répression, un sourire ému et lascif qui ne m’avait pas trompé et que je n’aurais jamais dû absoudre. C’était peut-être le premier encouragement involontaire donné à cette passion dont elle devait subir la honte ; mais à coup sûr dès ce jour-là Félicie appartenait à son prétendu fils adoptif, le sentiment d’adoption maternelle était profané et devenait une triste et lâche imposture.

Hélas ! oui, cette femme était moins excusable que son complice. Si celui-ci avait eu l’initiative de l’attaque, il avait obéi à l’instinct viril, à la curiosité délirante de la puberté, à une première explosion des sens que Félicie avait subie jadis à ses dépens et dont elle connaissait bien le danger. Elle n’avait su ni réprimer cette explosion chez Tonino, ni l’épurer par une franche acceptation de l’avenir qu’il rêvait. Il était trop jeune, trop inconsistant, m’avait-elle dit alors, pour qu’elle pût songer à en faire son mari. Il fallait pourtant ou l’éloigner sans retour et sur l’heure, ou l’éloigner provisoirement et sanctifier sa passion par une promesse.

Mais non ; elle s’était éprise en ce temps-là d’un autre qui ne songeait point à elle. Elle avait vu en moi un être qui lui avait paru très supérieur à Tonino et à elle-même. Elle m’avait aimé avec son