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portées à un état pleinement positif par ces grands esprits scientifiques dont M. Mill parlait tout à l’heure; une sociologie positive lui manquait et lui était nécessaire. Il se mit à l’œuvre, et quand il eut réussi à son gré, tous les élémens essentiels de sa conception furent en son pouvoir. Eût-il eu devant lui une sociologie toute constituée comme il avait une biologie ou une chimie, la philosophie positive restait encore à faire.

Ainsi déterminer les faits supérieurs de tout le savoir humain, les coordonner suivant une méthode naturelle, en tirer une conception réelle du monde, constituer une notion assez positive pour être en plein accord avec les élémens scientifiques et assez générale pour en assigner la place et la valeur dans l’ensemble, telle est la philosophie positive, telle est l’œuvre de M. Comte.


III.

Je viens d’indiquer ce qu’a voulu faire, ce qu’a fait M. Comte. J’ai indiqué aussi les points d’attaque de M. Mill : la sociologie et la psychologie. Il ne me reste plus qu’à entrer dans le cœur du débat.

Sous le nom de philosophie positive, M. Mill entend quelque chose de différent de ce qu’entend M. Comte; mais il n’a pas spécifié le sens précis qu’il attache à cette locution, il ne m’appartient pas, de peur d’erreur, de le spécifier pour lui. Quant à moi, toutes les fois que je dis philosophie positive, c’est au sens qui vient d’être défini plus haut, c’est au sens de M. Comte.

Par nous autres disciples de cette philosophie positive, le coup que porte M. Mill ne peut être que fortement ressenti. Si la sociologie n’est pas constituée, si la psychologie est indispensable à la constitution d’une philosophie positive, il est certain que M. Comte est resté à mi-chemin, et que nous nous sommes trop hâtés de prendre pour une lumière générale une conception qui n’est encore que partielle, et dont le complément peut modifier sinon le principe, du moins la méthode, les aspects et la portée. Une seule de ces blessures suffirait pour renvoyer l’œuvre à un autre temps; toutes deux s’aggravent mutuellement. Il s’agit de savoir si la philosophie positive est venue ou est à venir. J’ai pensé, il y a maintenant plus de vingt-cinq ans, qu’elle était venue; je le pense encore, même contre M. Mill. Lui et moi, nous plaidons devant le public présent et futur, et devant les solutions qu’amèneront le progrès de la pensée philosophique et le cours des choses. En attendant que ces juges prononcent, voici mon plaidoyer.

Sociologie. — Comme il a été montré plus haut que le but suprême de M. Comte a été de fonder une philosophie et spécialement la philosophie positive, comme pour atteindre ce but il faut