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taires des tissus? Qu’a fait de moins M. Comte instituant la doctrine du développement historique? L’un a montré inhérentes aux tissus les propriétés dont jusqu’alors on avait cherché la cause au dehors, et a rendu positive l’étude de ces propriétés et de ces tissus; l’autre a montré inhérente aux sociétés la faculté de croître suivant un certain mode, attribuée jusqu’alors à de tout autres agens que la société elle-même; il a rendu positive l’étude de cette faculté et du milieu où elle s’exerce. Pour moi, l’équivalence est complète, et aucun nuage n’obscurcit à mes yeux les droits d’Auguste Comte à se dire le constituteur de la sociologie.

Quelque convaincu que je sois, je ne puis en rester là, et je dois exposer les motifs qui jettent M. Mill dans un avis contraire. Il ne s’explique pas, comme je viens de m’expliquer, sur les parties qui, suivant lui, constituent la sociologie; en tout cas, il attache une importance prépondérante à l’état statique, à l’économie politique, et à ce que j’appellerai d’une seule dénomination la physiologie sociologique. Aussi, bien qu’acceptant, ainsi que je fais, le développement historique tracé par M. Comte, comme il trouve chez lui peu de chose sur cette physiologie sociologique, — et dans ce peu beaucoup à critiquer, — il juge le travail incomplet et défectueux, renvoie le tout à un plus ample informé, et déclare que M. Comte n’a rien fait en sociologie qui ne demande à être fait de nouveau et mieux. De ce qui est à refaire, j’excepte hautement, et M. Mill excepte avec moi, la doctrine du développement historique, et cela, ainsi que je l’ai dit tout à l’heure, suffit à toutes les prétentions de M. Comte et de ses disciples.

En effet, sociologiquement et dans la hiérarchie des parties de la science, l’état dynamique a la prépondérance sur l’état statique, puisqu’il le détermine dès qu’il y a changement, et puisqu’il n’y a sociologie que parce que le changement se produit, ce qui fait que nécessairement la constitution de la science y est attachée. Puis, philosophiquement, il importe non que les parties secondes soient élaborées, mais que les parties premières soient constituées, afin qu’il soit possible d’établir la philosophie positive, qui est l’œuvre poursuivie. En un mot, M. Comte a fait ce qui devait être fait, d’une part pour jeter le fondement de la science sociologique, d’autre part pour créer le dernier élément sans lequel la philosophie positive ne pouvait apparaître dans son achèvement.

Pour la précision du langage et par conséquent des idées, il ne sera pas inutile de rappeler ici la distinction qu’à une autre époque je fis des deux sens du mot « sociologie » et qui vient à point. Je disais[1] :

  1. Auguste Comte et la Philosophie positive, p. 51.