Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 64.djvu/87

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
83
LE NOUVEAU LOUVRE.

C’est une corrélation naturelle qui tend à disparaître, car ce n’est certes point parce que la pensée s’élève que l’exécution matérielle fait aujourd’hui de continuels progrès. Consolons-nous, mieux vaut, quand on dégénère, ne dégénérer qu’à moitié ; mais, quelle que soit la valeur de notre armée démocratique, il ne faut point croire que dans les arts on puisse aller bien loin en se passant de généraux.

Notre façade en est la preuve : qu’importe qu’à la loupe vous puissiez admirer l’exécution de cette ciselure, de cette orfèvrerie de pierre ; la grande affaire est de savoir ce qu’elle dit à distance, comment elle est conçue, distribuée, ordonnée. Supposons même que ces innombrables détails soient tous d’un goût irréprochable, ce qui est loin d’être vrai, resterait encore à nous dire ce qu’ils font là tous ensemble, à quelle pensée ils obéissent, ce qu’ils prétendent exprimer. Bien habile qui pourrait le savoir. Il eût fallu qu’une main sévère élaguât cette épaisse forêt, y jetât un peu d’air : alors vous auriez eu ce qu’on peut appeler une imitation libre du style des Valois ; mais, telle qu’elle est, nous ne savons pas de mot pour définir cette façade. C’est plus que du style fleuri, c’est quelque chose qui dépasse en richesse toute espèce de monument connu : seulement cette richesse est jetée là pêle-mêle, comme en un garde-meuble, sans autre ordre apparent, sans autre règle que celle-ci : le plus de décoration qu’il est possible d’entasser dans un certain espace. N’en prenons qu’un exemple. L’attique, car, pour se raccorder à la surélévation du nouveau Louvre, on ne pouvait manquer de terminer par un attique cette façade réédifiée, l’attique a l’intention de rappeler le dernier ordre de la cour du Louvre, le petit ordre de Pierre Lescot. Les sculptures de Paul Ponce viennent à la pensée devant ces bas-reliefs encastrés au milieu de pilastres qui les serrent de près comme dans le modèle. Jusque-là, nos réserves faites contre la stérilité de ces sortes d’emprunts, nous n’avons pas grand’chose à dire ; mais Lescot et Paul Ponce, en traçant cette brillante page, en avaient fait le dernier mot, le suprême ornement, l’apogée de leur façade. Au-dessus d’un tel attique, rien que le comble et le ciel. Ici, nous ne sommes pas gens à nous contenter de si peu. Au-dessus d’un tel attique, il nous faut autre chose ; il nous faut des frontons arrondis, de grands frontons pleins de figures en ronde-bosse et soutenus par des groupes d’animaux faisant fonction de chapiteaux ou plutôt de consoles. Ces groupes sont en pleine saillie, si bien que la sculpture méplate des bas-reliefs à la façon de Paul Ponce en est tout écrasée et aplatie. On se demande ce qu’elle fait là ; on souffre de la voir en pareille compagnie. Voilà pourtant l’effet de ces ornemens jetés ainsi à pleines mains : ils s’entre-nuisent à qui mieux mieux. On peut en