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comme un ours blanc en sa cage, et, dans une autre pièce, Georgette accroupie sur un coussin, les yeux au plafond, l’âme je ne sais où. Sur quoi le grand jeune homme chevelu se demandait quelle distance il pouvait bien y avoir entre ces deux chambres, et combien de portes il faudrait ouvrir pour aller de l’une à l’autre. Et chaque fois qu’il recommençait ce calcul, il faisait cette triste réflexion, qu’il n’est pas besoin d’être amoureux pour être jaloux.

— Quittez donc cette fenêtre ! disait l’homme grave. Vous voilà planté sur une patte comme un héron qui rêve dans son marais. Que signifie cette pose d’oiseau échassier? A quoi pensez-vous?

— A la plus charmante aventure.

— Vous voulez dire à la plus sotte escapade. Supposons que je vous laisse partir. Bon, vous voilà en route. Où irez-vous?

— Je n’en sais rien, et c’est ce qui me plaît. Dès ma plus tendre jeunesse, j’ai eu le goût des folles équipées. Le beau mérite de franchir un fossé quand on sait ce qu’il y a de l’autre côté!

L’homme grave haussa les épaules : — Les casse-cou devraient s’arranger pour avoir toujours vingt ans. Passé ce bel âge, on n’a plus le talent de s’estropier avec grâce, et il faut craindre le ridicule.

— Elle est si belle! reprit l’autre. Elle ne ressemble à rien.

— C’est ce qui se dit toujours en pareil cas, c’est ce que vous-même avez dit mille fois. Le fond de l’amour est une curiosité toujours renaissante et toujours déçue. On se croit à chaque instant sur la voie d’une découverte; mais en arrivant à la dernière ligne du chapitre on s’aperçoit qu’on l’avait déjà lu : il n’y avait de changé que la vignette du frontispice. Toutes les femmes se ressemblent et tous les amours aussi. Dix jours de parfait bonheur, après quoi on se dégrise, on se lasse, on se dégoûte, on se ravise, on se repent et quelquefois on se pend.

— Quand cela serait vrai, un seul jour de folie heureuse vaut mieux que dix années de froids raisonnemens. Un sage n’a-t-il pas dit que, pour approfondir certaines questions, il faut attendre d’être vieux, riche et Allemand?

— Raisonner est le seul plaisir qui ne trompe pas, et les idées, mon bel ami, sont les seules maîtresses qui ne vieillissent point. Toujours fraîches, toujours nouvelles! Mais je vois ce qui vous monte la tête. Vous êtes de ces gens qui mettent toujours un peu de littérature dans leurs passions, vous avez cru trouver une Aïssé dans Mlle Georgette. Quelle différence, bon Dieu! Aïssé avait de la France emprunté, comme dit la chanson, les charmes de l’esprit, de l’air et du langage. D’autre part, le chevalier d’Aydie avait des rentes. Qu’avez-vous à offrir à votre belle Orientale ? Une chaumière