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LE NOUVEAU LOUVRE.

pour la vie des passans sont d’autant plus extraordinaires que c’était en l’honneur de ces mêmes passans, pour les mieux protéger, les mieux mettre à l’abri, qu’on avait entrepris cette très grosse affaire, la reconstruction du pavillon de Flore. Et voilà qu’en relevant ces pierres on dispose si bien les choses que les menaces et le péril ont au moins décuplé. Au lieu de modestes corniches, suspectées on ne sait trop pourquoi, ce sont de tous côtés des sculptures en saillie, à peine en équilibre, une carrière de pierres suspendue sur nos têtes, et que le premier hiver un peu rude, le premier dégel un peu brusque, doivent nécessairement faire voler en éclats.

Laissons là ce danger de voirie : il en est un d’une autre sorte qui ne doit pas moins nous occuper, bien qu’il n’entraîne pas mort d’homme et n’offense que le bon goût. Nous parlons de cet étrange oubli des lois de l’harmonie qui permet de penser qu’on peut impunément décorer comme on veut, à sa pure fantaisie et dans le style qu’on affectionne, tout monument, de quelque forme, de quelque dimension qu’il soit, comme si le mode de construction ne commandait pas par lui-même le caractère de la décoration. Ainsi voilà le pavillon de Flore, le plus massif des pavillons, de taille colossale, et destiné par son auteur et par la nature des choses à n’être revêtu que de rares sculptures d’un dessin ferme et arrêté ; vous le reconstruisez, vous ne changez rien à sa structure, à sa hauteur, ni à son épaisseur, c’est bien le même pavillon, solennel, imposant, se prêtant mal au badinage, et vous vous croyez le droit, parce que tel est votre plaisir, de le couvrir du haut en bas de cette parure délicate dont notre renaissance, toujours intelligente, même quand elle badine, s’amuse à revêtir ses propres monumens, constructions tempérées, aux membres fins, aux dimensions moyennes ! Trouvez un édifice dans les proportions formidables du pavillon de Flore que la renaissance ait osé recouvrir de ses méandres et de ses arabesques sculptés à fleur de pierre ? Les Tuileries primitives, les Tuileries de Catherine, étaient-elles donc comme aujourd’hui dominées par l’épaisse calotte d’un énorme monceau de pierre ? Ne sait-on pas que Louis XIV a quadruplé ce pavillon central en l’amplifiant sur ses quatre faces ? Le pavillon de Philibert de Lorme n’était-il pas svelte, souple, élégant, en harmonie avec le fin décor qui en revêt encore quelques colonnes ? Il faut être arrivé à l’an de grâce où nous voici pour que l’idée d’habiller de la sorte le robuste pavillon de Flore ait osé se produire. Nous ne savons rien de plus étrange qu’un contre-sens pareil dans un temps qui se pique sinon de produire des chefs-d’œuvre et de faire pratiquement de la bonne architecture, du moins d’en connaître l’histoire et d’en expliquer les lois.