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Elle est d’ailleurs la plus productive de l’empire; c’est déjà un rôle assez beau.

En mer, 20 avril, par 17° long. O., 37° lat. S.

Nous passons en vue du petit groupe de Tristan d’Acunha, jeté comme une sentinelle perdue au milieu de l’Atlantique. Un pic élevé, de vertes vallées, quelques torrens se précipitant du haut des falaises dans la mer, c’est tout ce que la longue-vue nous permet d’apercevoir de l’île principale. Est-elle encore habitée? Rien ne le montre, quoique la chose soit possible. Elle ne l’était pas au siècle dernier, lorsque le capitaine français d’Etcheverry la visita; mais en 1811, le capitaine américain Heywood y débarqua, du consentement de toutes les parties, trois de ses matelots qu’avait probablement séduits la destinée aventureuse de Robinson Crusoé. Leur enthousiasme dura peu, et au bout de trois ans, le chef de la petite bande étant mort, les deux survivans furent heureux d’être recueillis par un des rares navires qui de loin en loin s’approchent de ce point oublié. Plus tard, en 1816, par un luxe de précautions peu raisonné, les Anglais se persuadèrent que l’occupation de Tristan d’Acunha leur offrirait un surcroît de garantie contre toute tentative d’évasion de l’illustre captif de Sainte-Hélène; il ne fallut rien moins, pour leur faire abandonner ce projet, que la perte du bâtiment chargé de le réaliser. Enfin, quinze ans plus tard, six familles anglaises, comptant quarante personnes, voulurent à leur tour attacher leur sort à cette île, qui atteignit alors son plus haut degré de prospérité. Elle devint presque un point de relâche, où, sans mouiller, quelques navires mettaient parfois en panne pour se procurer des vivres frais. Quel incompréhensible attrait peut avoir cet isolement du reste du monde, cette séquestration absolue, pour qu’à deux reprises des êtres humains s’y soient volontairement condamnés? Faut-il faire remonter jusqu’à Daniel de Foe la responsabilité de ces essais avortés? N’est-ce pas plutôt le milieu exceptionnel de la vie maritime qui prédispose certains esprits, même, des plus grossiers et des moins cultivés, à rechercher ainsi cette existence contre nature? Génie de la solitude, qui dira ton secret?

Cap de Bonne-Espérance, 2 mai.

Le cap de Bonne-Espérance offre cet avantage que les vaisseaux peuvent, suivant la saison, venir mouiller d’un côté ou de l’autre de ce gigantesque promontoire. Ainsi, pendant les vents d’est de la belle saison, qui correspond à notre hiver de France, les navires se pressent sur la baie de la Table, sans se préoccuper des rafales qui descendent des hautes montagnes où le poète cache le géant Ada-