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civilisation que les siècles de batailles et de luttes qui plus tard ensanglantèrent ce beau pays d’Égypte.

En Perse, en Asie-Mineure et dans l’Inde, beaucoup de ces merveilles existent encore et attestent, comme le kiosque des miroirs à Ispahan ou telle autre salle des palais, que rien n’est exagéré dans ces récits. Chardin avait été si frappé de cette magnificence orientale, que d’après ses descriptions et ses dessins Louis XIV eut un instant l’idée de construire Versailles sur le modèle d’un palais du schah de Perse. Assurément nous n’avons rien à regretter, car il était difficile de rien faire de plus beau que les jardins de Versailles, que ces bassins, ces groupes, ces escaliers d’une si magnifique ordonnance. La grande décoration intérieure peut aussi rivaliser de richesse avec celles dont nous venons de parler ; mais depuis ce temps, mais aujourd’hui à Paris que sont devenues les habitations des riches ? Si le luxe n’est pas moins grand, ni les dépenses moins fortes, quelle différence dans le résultat, dans l’effet décoratif, quel oubli de ce goût qui dirigeait encore la main des artistes du grand siècle ! Voyez ces salons d’un millionnaire : ici un Raphaël ou un Titien est accroché à contre-jour dans un panneau qui n’a pas été fait pour lui ; là un dressoir aussi grand qu’une maison déforme entièrement l’architecture de la pièce, si par hasard la pièce en a une. Tous ces salons, également carrés, également blancs et or, dont les plafonds de même hauteur ne se distinguent les uns des autres que par les figures mythologiques qui les chamarrent de leurs lourdes draperies, ces lustres comme des ballons monstrueux encombrant la salle sous prétexte de l’enrichir, ces rideaux couverts d’attaches et d’oripeaux dorés, conçus par le tapissier avec l’unique préoccupation d’augmenter les fournitures, et dont la couleur n’a aucun rapport avec la décoration, tout cela offre un désordre si grand, une dépravation de goût tellement générale, que la lutte semble impossible, et qu’il ne reste plus qu’à gémir sur ce fatras ; Dans ces constructions si dispendieuses pourtant, pas une galerie à voûte élégante, pas une coupole, pas un renfoncement dans ces murs plats où les portes et les fenêtres viennent partout à fleur des lambris, et envahissent, lorsqu’on les ouvre, le peu de place qui reste libre. Au milieu de ces richesses, on sent la gêne, la spéculation, le besoin d’utiliser le terrain par des étages superposés. Faites donc alors comme à Londres du comfort sans prétention, et transportez votre luxe et vos collections précieuses dans de vastes châteaux où elles s’étaleront à l’aise !

Il est impossible que ces réflexions mélancoliques ne se présentent point à l’esprit lorsqu’on vient de vivre par le souvenir et la pensée au milieu des monumens qui couvrent l’Égypte et l’Asie, et