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et soignées. Il y avait aussi l’habitation des lions, ornée d’une cour spacieuse et profonde, pavée de marbre et rafraîchie par des bassins et des jets d’eau. Le prince, du haut d’un balcon, donnait l’ordre de lâcher ces animaux terribles dans cette cour, et se plaisait à les voir se rouler et s’ébattre au soleil. Parmi ces lions réunis en grand nombre, il en était un, nommé Zoraïk, qui avait les yeux bleus comme le ciel et d’une remarquable douceur. On le laissait en liberté, et pendant les repas il venait recevoir de la main de son maître des pièces de gibier rôties. Lorsque Khomarouïah dormait, Zoraïk, étendu à ses pieds, le gardait et ne laissait personne approcher. Un collier d’émeraudes énormes garnissait le cou formidable de ce lion favori. Ce prince courageux, passionné pour le beau, aimant les arts et les plaisirs de toute espèce, trouvait surtout un attrait puissant à chasser le lion dans le désert. Il le poursuivait jusqu’à son repaire, et, après l’avoir cerné, le forçait, en rétrécissant peu à peu le cercle, à entrer dans une belle cage de bois doré. On le ramenait ainsi en triomphe au palais d’Asker.

Au retour d’une chasse, s’étant plaint à son médecin de fatigue et d’insomnie, celui-ci lui ordonna de se faire masser, mais le prince déclara que personne ne toucherait à son corps. Alors le docteur eut l’idée de remplir de vif-argent un vaste bassin, de placer dessus un matelas de peau gonflé de vent, et d’y faire coucher le malade. Ce lit, sans cesse agité par le mouvement naturel du vif-argent, lui causait un sommeil agréable. Ce bassin coûta des sommes énormes ; c’était une invention toute nouvelle et digne du luxe de ces palais décrits pour ainsi dire d’après nature par les Mille et une Nuits. Dans la partie haute du harem, l’architecte avait placé une vaste loge, sorte de tribune élégante d’où la vue s’étendait au loin. Un rideau se levant et se baissant à volonté garantissait de la chaleur du jour et des fraîcheurs de la nuit. Le prince, couché sur les divans qui garnissaient la pièce, pouvait voir toute la vallée du Nil, plus près la ville entière, et enfin à ses pieds les jardins du palais.

Sous son heureux règne, il n’y eut pas une seule année de disette ; la vie s’écoulait joyeuse au milieu des raffinemens d’un luxe dont l’Europe ne saurait avoir l’idée. On voit encore, à la cime du minaret de la belle mosquée construite par son père, le petit navire en bronze qu’on remplissait de blé chaque matin, afin que les oiseaux du ciel eux-mêmes pussent vivre dans l’abondance. Adoré de son peuple, il rendait la justice avec fermeté. De lui on pouvait dire qu’il était « semblable à l’oranger qui couvre de fleurs la main, qui le secoue[1]. » Telle était la cour de ces puissans seigneurs dont le règne, de trop courte durée, fit plus cependant pour la

  1. Saadi.