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serait pas prononcée contre l’Autriche. Là, dans cette province captive, sur ce dernier fragment de sol italien soumis à la domination étrangère, là donc est la clé des mouvemens de l’opinion si violemment partagée. Pour la France, cette délivrance de Venise était la fille de la guerre de 1859. Pour l’Italie, c’était le dénoûment de ce travail d’unification qui était allé trop loin pour rétrograder, et qui ne pouvait plus se sentir en sûreté tant qu’il n’était pas allé jusqu’au bout. Pour l’Autriche elle-même, c’est la fin d’une situation fausse où sa politique ne s’est attardée que pour dévorer plus complètement l’amertume d’une perte sans compensation et sans gloire.

Céder la Lombardie à la France et par les mains de la France à l’Italie après une guerre malheureuse, ce n’était rien pour l’Autriche, ou du moins ce n’était que rendre les armes après le combat à des antagonistes naturels. Céder la Vénétie en pleine victoire sur l’Italie, la céder tardivement et précipitamment par un de ces expédiens qui ne détournent aucune catastrophe, se soulager du fardeau d’une province incommode entre les mains de la France, dont les armes ont affranchi l’Italie, pour suspendre en Allemagne la marche de la Prusse, de qui elle n’avait pu attendre jusque-là qu’une garantie de ses possessions italiennes, c’est là un de ces jeux embrouillés de la fortune qui mettent diplomatie et politique aux abois. Je ne sais s’il y eut jamais un plus soudain écroulement de tout un ordre de choses et aussi une plus sanglante, une plus bizarre dérision de la force. Assurément l’Autriche n’avait rien négligé pour se tenir prête à défier la puissance des événemens, pour vaincre la logique qui l’étouffait dans sa domination de jour en jour plus précaire. Elle avait fait ce qu’elle avait pu : moralement menacée, elle s’était armée matériellement. Repliée au-delà du Mincio et du Pô depuis 1859, elle avait prodigué l’art et les millions à se rendre inexpugnable dans sa citadelle du Vénitien. Son quadrilatère, elle en avait fait une enceinte impénétrable, hérissée de fer et de feu. Les défenses de Mantoue avaient été doublées. Vérone était devenue un camp retranché où cent cinquante mille hommes pouvaient tenir à l’abri d’une triple ligne d’ouvrages nouveaux. Exposée à être tournée par le Pô inférieur depuis que l’Italie allait jusqu’à Ferrare et jusqu’à la rive droite du fleuve, l’Autriche s’était hâtée de fermer ce passage en accumulant les travaux autour de Rovigo, vers Polesella et Bovara. Et Venise elle-même, Venise déjà difficile à prendre en 1859, était devenue peut-être imprenable. Isolée dans ses lagunes, au milieu de ses îles, reliée au continent par le pont du chemin de fer que couvrent les fortifications de Malghera, séparée de la mer par cette lisière de terre à travers laquelle s’ouvrent les