Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/108

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ports du Lido, de Malamocco, de tre Porti, Venise n’était plus qu’une citadelle flottante. Chaque île était un fort, chaque position était gardée, chaque passage était obstrué. On ne pouvait forcer une ligne que pour se retrouver en face d’obstacles nouveaux, devant tout un système de feux imprévus. Rien donc ne manquait à cette défense maritime et terrestre combinée de façon à garantir la puissance autrichienne contre un soulèvement intérieur aussi bien que contre une attaque extérieure. A quoi tout cela a-t-il servi ? L’Autriche a voulu jouer jusqu’au bout cette redoutable et compromettante partie ; elle l’a perdue, et comme pour rendre plus saisissante cette irrémédiable décadence de la domination impériale au-delà des Alpes, ce n’est pas même devant les armes italiennes que toutes ces défenses sont tombées ; le coup a été porté ailleurs, sur un champ de bataille de Bohême, et c’est ainsi que du sein de ce déchirement sanglant, qui a embrassé l’Allemagne et l’Italie, Venise sort libre, affranchie sans avoir été conquise, par la toute-puissance de son droit, par la victoire des aspirations qui la font italienne. Elle sort de la lutte avec la popularité de son passé et de ses malheurs, avec ce double et douloureux prestige d’une province qui a été la dernière à tomber sous le joug étranger, il y a près de soixante-dix ans, par les mains de la France, et qui renaît la dernière à la vie nationale, un peu aussi heureusement par les mains de la France.


I

C’est là en effet toute l’histoire de Venise : soixante-dix ans de captivité entre dix siècles d’indépendance locale, et cette destinée plus libre, plus largement nationale, qui commence à peine pour elle au sein d’une Italie renouvelée. On a dit quelquefois, et on a pensé peut-être enchaîner d’un mot l’avenir, que, de toutes les parties de la péninsule, Venise était la moins italienne, qu’elle était par conséquent la moins faite pour aller se perdre dans cette révolution de l’unité qui arrive aujourd’hui à son terme. Cela ne signifie qu’une chose, c’est que plus longtemps que toute autre contrée de l’Italie Venise a vécu de sa vie propre. Plus longtemps que toute autre et plus que toute autre, elle a eu son génie, ses traditions, ses mœurs originales, sa diplomatie active, ses arts, son commerce, tout ce qui fait une nationalité vivace et indépendante. Moins que toute autre contrée italienne, elle a été foulée par les dominations étrangères. Tandis que royaumes et duchés, de Naples jusqu’à Modène, restent incessamment livrés aux ambitions rivales qui se disputent les souverainetés et vont chercher leurs appoints au-delà des