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vénitienne indépendante et libre à se constituer, de transporter à Venise l’intérêt qu’on refusait au Piémont et au roi Charles-Albert. Ce n’était pourtant pas ce qu’on faisait ; lorsque Manin demandait à la France de reconnaître la république vénitienne, qui était après tout un gouvernement de fait ni plus ni moins que le gouvernement provisoire français, on lui répondait par un bout de lettre privée adressée à M. Tommaseo, et on refusait la reconnaissance officielle. Lorsqu’il demandait des armes, on commençait par les accorder, non sans peine, puis la promesse faite par un ministre, démentie par l’autre ministre, allait se perdre je ne sais où, et on finissait par avouer « avec douleur » que, « par des considérations de politique extérieure, » on ne pouvait permettre l’envoi des fusils qui devaient être partis depuis deux mois.

Pourquoi donc la France se montrait-elle si tiède pour Venise, pour cette république, petite il est vrai, mais grande de cœur et si honnête dans ses actions ? On n’en peut plus douter aujourd’hui, parce que la Vénétie était en quelque sorte sacrifiée d’avance, parce que la république manquait de foi, parce que l’idéal de la politique française dans les affaires d’Italie était modeste : il n’allait pas au-delà de l’admission de l’indépendance de la Lombardie, qui à un certain moment était déjà conquise, en laissant la Vénétie, avec une administration nationale et constitutionnelle, sous la suzeraineté, c’est-à-dire sous la domination de l’Autriche, et M. de Lamartine, le ministre des affaires étrangères d’alors, avoue avec candeur que ces conditions, qui renouvelaient et sanctionnaient Campo-Formio à l’égard de Venise, « satisfaisaient largement aux légitimes ambitions d’affranchissement de l’Italie. » C’était simplement une idée mise en avant par l’Autriche elle-même sous le coup de ses défaites, au mois de mai 1848. L’habileté de l’Autriche vaincue et menacée était de manœuvrer de façon à immobiliser la France par une velléité de concessions, à satisfaire l’Angleterre en arrêtant la France, à garder le temps et la liberté pour elle, et voilà comment la politique française, peu portée à la guerre par elle-même, peu sympathique Charles-Albert, glissait dans une médiation amicale qui livrait tout à la merci des événemens, dont l’inefficacité grandissait dans la mesure des succès par lesquels l’Autriche relevait sa fortune. Ce n’était pas, je le sais bien, la politique de tous les hommes de la république, ni même de toutes les phases du gouvernement républicain. Il y eut des momens où le gouvernement d’alors suffoquait en quelque sorte sous le poids de son inaction et de sa médiation impuissante, où il sentait la nécessité de faire la guerre ; l’idée de trancher la question par l’envoi d’un corps d’armée à Venise fut même un moment agitée, et lorsque Manin, lassé d’incertitudes,