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au premier instant, M. de Lamartine, en faisant vibrer le sentiment national des peuples et en leur promettant l’appui de la France, admet très bien que la Vénétie, déjà affranchie, puisse rentrer sous la domination autrichienne, et il engage la politique française dans cette voie. Le gouvernement du général Cavaignac ressent plus d’intérêt pour Venise, le nom de Campo-Formio le trouble ; mais il ne fait rien, et il se déguise à lui-même son inaction. Le gouvernement de la présidence du 10 décembre ne promet rien, ne fait rien et sonne la retraite de la politique française dans les affaires vénitiennes comme dans les affaires de l’Italie tout entière.

Ainsi le moment vient pour Venise où du côté de l’Italie, du côté de l’Europe, elle n’a plus rien à espérer. Le Piémont, abattu à Novare, ne peut plus rien pour elle ; les autres parties de l’Italie sont en pleine restauration absolutiste et n’ont aucun secours à lui offrir. La France et l’Angleterre lui signifient que ce qu’elle a de mieux à faire, c’est de se soumettre. De tous les alliés qu’elle aurait pu avoir, elle n’a plus que la Hongrie, qui ne peut se sauver elle-même et avec laquelle elle signe des traités inutiles. Alors s’élève pour elle cette terrible question : seule, abandonnée, continuera-t-elle la lutte ? S’enfermera-t-elle dans la solitude de son héroïsme ? C’est le 2 avril que cette question est tranchée sous le coup même du désastre de Novare. À dix heures du matin, les représentans se réunissent au palais ducal, dans la salle du grand-conseil, dans cette salle toute tapissée des trophées de la Venise d’autrefois, des portraits des doges et des merveilles de l’art vénitien. Manin arrive et monte à la tribune. « Vous connaissez les nouvelles, dit-il d’un ton bas et grave, que décidez-vous ? — C’est au gouvernement de prendre l’initiative, lui répond l’assemblée. — Êtes-vous décidés à la résistance ? — Oui, nous le sommes. — À tout prix ? — À tout prix ! — Voulez-vous me donner des pouvoirs illimités pour diriger la résistance ? — Nous le voulons. — Vous savez que j’aurai à demander d’énormes sacrifices ? — Nous les ferons. »

Aussitôt tous ces hommes se lèvent dans un mouvement d’exaltation patriotique, entourent Manin, votent par acclamation, et à une sommation du général Haynau on répond en envoyant simplement ce laconique décret rendu par l’assemblée : « Venise résistera à l’Autriche à tout prix. » Manin et l’assemblée n’étaient, à vrai dire, que l’écho de la population tout entière, résolue à une lutte désespérée. Au-dessus du campanile de Saint-Marc, on hissa un immense pavillon rouge flottant dans l’azur et annonçant aux vaisseaux autrichiens de l’Adriatique comme à l’armée assiégeante de terre que Venise était décidée à tout plutôt que de se soumettre. « Depuis ce jour, dit un consul américain, M. Flagg, qui s’est fait