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originel, et rien n’est plus facile que d’en suivre le cours. Des monumens en nombre considérable sont là, comme les pages du grand livre de l’architecture, comme des jalons qui permettent de suivre pas à pas les rapports historiques des peuples entre eux. Beaucoup de gens s’étonnent, et parmi eux les plus experts, de la rapidité du progrès de notre civilisation à l’époque du moyen âge. « Elle procède, dit-on, par une suite d’essais, sans s’arrêter un instant. A peine a-t-elle entrevu un principe qu’elle en déduit les conséquences, et arrive promptement à l’abus avant d’avoir su développer son thème[1]. » Les archéologues en général ont le tort de borner leur regard ; au lieu de gravir les cimes pour interroger l’horizon, ils s’enferment dans un étroit espace et ne savent plus voir les choses les plus simples et les plus logiques. Rien en effet ne devrait plus surprendre que l’élan avec lequel surgit la civilisation du moyen âge, si on la juge comme sortie subitement du sol de l’Europe et de la France en particulier ; mais cette civilisation, qui nous apparaît si subite et si neuve, était forte et dans toute sa splendeur depuis huit ou dix siècles. Elle est arrivée en Occident toute faite, toute parée, comme ces plantes exotiques qui se sont développées aux rayons d’un autre soleil que le nôtre, et qui, transplantées au milieu de nous, tantôt s’étiolent et s’abâtardissent, tantôt, grâce à, des soins intelligens, prennent dans leur climat d’adoption plus de vigueur et plus de beauté.

L’étude des origines de l’architecture du moyen âge est d’une haute importance, parce que cet art n’a rien emprunté de caractéristique aux ruines amoncelées par le désordre païen. Issu de la rénovation philosophique qui répudiait ce passé, il a surgi du chaos et de la débauche, ainsi que ces fleurs dont la fraîcheur, l’éclat et le parfum naissent du fumier qui les recouvre. Cet art empreint d’une science profonde, d’une étude merveilleuse de la nature, contient tous les élémens aujourd’hui méconnus, et pour marcher vers le progrès c’est là, d’après nous, le vrai modèle dont la science architecturale doit s’inspirer. Dans les monumens de la vieille Égypte, de la Grèce et de Rome avant sa décadence, il n’y a qu’une idée bien jeune de l’art de bâtir, si perfectionnées qu’aient été la sculpture et la décoration. Quelque imposantes que soient les lignes, ce sont toujours des masses amoncelées sur des masses et s’allongeant sur terre sans pouvoir se redresser. Les pyramides ne sont qu’une montagne, les monumens de l’Inde et d’Ipsamboul ne sont que des excavations et des sculptures en plein roc. L’antique civilisation de la Chine ne nous offre aucun monument sérieux, car l’architecture

  1. Dictionnaire de l’Architecture, par M. Viollet-le-Duc.