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Parfois les combattans s’apaisent, et les sons
Confus des nuits de juin montent par intervalles,
Et les grillons des prés murmurent leurs chansons…
Les conscrits mutilés lèvent leurs têtes pâles,
Blonds fils de paysans, couchés sous les buissons.

L’autre année, ils marchaient joyeux dans leurs collines,
Robustes laboureurs ou bûcherons hâlés,
Humant à pleins poumons l’odeur des aubépines,
Et, comme l’alouette à l’essor dans les blés,
Sentant l’air libre et pur jouer dans leurs poitrines.

Et les voilà sur l’herbe et le sable étendus…
Adieu la vie, adieu le jour, adieu la terre !
Ils jettent vainement des cris inentendus ;
La mort vient ; — maudissant les rois qui font la guerre,
Leur bouche se referme et ne se rouvre plus.

La lutte se poursuit horrible, haletante,
Sans quartier, sans merci, baïonnette en avant ;
Les carrés enfoncés roulent dans l’eau sanglante…
Jusqu’aux cimes des monts impassibles, le vent
Emporte une clameur de rage et d’épouvante.

La déroute commence ; ainsi que des troupeaux
Effarés, les fuyards courent dans la vallée.
La bataille est finie, — Aux clartés des flambeaux,
Aux salves des tambours, d’orgueil l’âme gonflée,
Le vainqueur rentre au camp et compte ses drapeaux.

Tandis que l’aube grise éclaire ceux qui meurent,
Le bruit de son succès vole par l’univers…
Et là-bas, dans les bourgs où les femmes demeurent,
Près des foyers éteints de leurs logis déserts,
Dans les bourgs dépeuplés, là-bas, les mères pleurent.



André Theuriet.