Comme eux, il saura dans la ferme
Brandir le fléau, comme eux
Labourer, et d’une main ferme
Guider deux paires de bœufs.
Quand sur sa lèvre souriante
Un fin duvet blondira,
Dans son cœur une verte plante,
L’amour, s’épanouira ;
Puis, à la bourgade prochaine,
Il prendra femme à son tour…
À moins qu’un sergent ne l’emmène
Aux roulemens du tambour,
À moins qu’une royale guerre
Ne l’arrache à son enclos
Et ne le jette à la frontière,
Giberne au flanc, sac au dos…
IV. — HORRIDA BELLA.
Le soir vient ; le soleil empourpre en s’abaissant
La lisière d’un bois aux profondeurs sereines ;
Dans la plaine, un tumulte emplit l’air frémissant :
Canonnade, clairons, tambours, clameurs humaines !
L’horizon est voilé d’une vapeur de sang.
La bataille a duré tout le jour, — et dans l’ombre,
Là-bas où le sol noir avec le ciel se fond,
Dans les chemins couverts de cadavres sans nombre
Et les blés verts fauchés par les balles de plomb,
Elle se continue impitoyable et sombre.
Dans les champs, dans les clos du village détruit,
Les blessés et les morts font une large voie
Qui du fleuve en rumeur aux bois muets conduit,
Et l’œil peut suivre, au vol des lourds oiseaux de proie,
La piste des soldats s’égorgeant dans la nuit.
C’est une âpre mêlée où l’on ne sent plus vivre
Un seul des grands instincts que l’homme a dans le cœur,
Où le sang veut du sang, où le fer et le cuivre
Rendent la force aveugle et cruelle la peur ;
L’âme entière a sombré, la bête humaine est ivre.