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pressante du devoir qu’il s’agit de remplir envers la patrie. Les esprits progressifs déploreront peut-être le contre-temps qui, malgré les prévisions générales et les tendances pacifiques de nos sociétés, détourne ainsi l’émulation active du pays vers les préoccupations militaires ; ils s’en consoleront aussi peut-être en pensant aux avantages qui résulteraient pour la solidité de caractère et le tempérament de notre nation d’une union plus intime et d’une pénétration continuelle des élémens militaires et des élémens civils de la société française. Quoi qu’il en soit, il faut s’appliquer à la révision de nos institutions militaires promptement, de bon cœur, avec un zèle conciliant, car on a ici affaire au plus élevé des intérêts patriotiques, et il s’agit de placer la sécurité, la dignité et l’autorité de la France, nous ne disons point à l’abri d’une insulte dont personne n’aurait à coup sûr la pensée et l’audace, mais au-dessus de toute chicane et de tout doute.

Lorsque nous aurons résolu de mettre ainsi à profit les fortes leçons que donnent les événemens de cette année, nous pourrons assister avec un sang-froid bienveillant ou tout au moins indifférent au spectacle du renouvellement de l’Allemagne. Nous voudrions pouvoir nous abstenir de porter jusque-là des jugemens sur les incidens de cette révolution. Le langage du roi de Prusse en certaines circonstances, les attitudes de M. de Bismark, la docilité témoignée par les progressistes de la seconde chambre, le ton de la presse prussienne, donnent à penser que ceux qui n’avaient point cru que la politique de la Prusse eût rien de commun avec le sentimentalisme qui a cours en France à propos des nationalités ne se sont guère trompés. Rien de plus curieux et de plus instructif que cette construction nationale qui n’a pas l’hypocrisie de se fonder sur l’adhésion des populations annexées, qui assujettit des hommes de même race et de même langue en s’appuyant uniquement, comme au bon vieux temps, sur la raison la meilleure, c’est-à-dire sur le droit du plus fort. La cour de Berlin ne s’embarrasse d’aucune des théories et des procédures modernes ; elle travaille comme une vieille monarchie de race : si elle daigne parler encore de l’union de l’Allemagne, elle agit purement et simplement comme faisait Frédéric II quand il formait la Prusse. Avec les idées arrêtées du roi Guillaume, idées dont l’expression lui échappe si naturellement, le gouvernement parlementaire n’est guère gênant pour un souverain. L’action écrasante que le succès exerce sur les intelligences conforme d’ailleurs aux prétentions royales les dispositions générales des populations prussiennes. On est là dans l’entraînement irrésistible des triomphes récens. Avec le temps, quand les enthousiasmes seront refroidis, les difficultés sans doute reparaîtront. Les succès de la force, malgré leur éclat et leur puissance irrésistibles, ne disent point le dernier mot de toute chose. En attendant que cette lune de miel s’écoule, M. de Bismark poursuit sa besogne de réorganisation avec une activité remarquable. Il a très habilement, à l’an-