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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/301

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passans qui hâtaient le pas pour se dérober à ses importunités ; mais son visage amaigri, ses yeux plombés, sa pâleur morbide, les arrêtaient, pour ainsi dire, malgré eux, et bien rarement elle rentrait les mains vides. Les policemen eux-mêmes, ses éternels ennemis, la regardaient avec compassion. — Mendier ne vaut-il pas mieux que voler ? avait-elle répondu nettement au premier d’entre eux qui hasarda une observation sur ce nouveau mode d’existence.

— L’un n’est pas plus permis que l’autre, répondit-il en haussant les épaules, mais il se garda bien désormais de la prendre en flagrant délit. Ce fut donc volontairement qu’après trois semaines de cette triste vie, elle y renonça pour toujours. Naturellement franche et hardie, les obséquiosités, les mensonges larmoyans, les subterfuges hypocrites de son nouveau métier lui coûtaient plus qu’à bien d’autres. L’enfant d’ailleurs, promené dans les rues par tous les temps, avait gagné un mauvais rhume. Il ne faisait plus que tousser et crier. Tel quel, les voisins de Jane continuaient à lui envier ce puissant auxiliaire. On le lui empruntait quelquefois ; on finit par vouloir le lui acheter. Ceci la révolta plus que tout le reste. Elle craignit enfin qu’on ne le lui volât, et dès qu’elle se sentit à la tête de quelques shillings, elle abandonna le close et la mendiante irlandaise qui s’était montrée si charitable. Dans sa situation actuelle, cette espèce de coup d’état ne pouvait s’expliquer que par un parti bien arrêté de reprendre ses anciens erremens. Elle y était tout à fait décidée.

L’enfant lui devint alors un immense embarras. Il la retenait fréquemment au logis et lui faisait manquer l’exécution des plans concertés avec les nouveaux associés qui l’avaient acceptée comme auxiliaire. Il troublait leur sommeil par ses continuelles doléances, et on ne comprenait pas que sa mère s’accommodât d’un accessoire si gênant ; mais plus le fardeau était lourd, plus elle semblait s’y rattacher. En revenant un soir auprès de l’enfant, qu’elle avait laissé endormi sur le tas de chiffons qui lui servait de berceau, elle ne le vit plus, et son cœur se serra étrangement. — Me l’auraient-ils tué ? pensa-t-elle en se remémorant les conseils que ses nouveaux compagnons lui avaient plus d’une fois donnés à mots couverts. Au moment où elle se sentait envahie par un frisson de terreur, le marmot cria. Une voisine l’avait recueilli chez elle. Sur ce, fureur de la jeune mère : — Qui vous a donné le droit de toucher à mon enfant ?

— Il piaillait à tue-tête, les voisins se fâchaient, un d’eux avait déjà parlé de venir tordre le cou à ce pauvre petit. — Mais Jane n’écoutait rien, et peu s’en fallut que la querelle ne dégénérât en bataille. Un autre jour, vaguant par les rues, elle rencontra sa mère. Leur dialogue fut caractéristique.