Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/303

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sur son cœur. Désormais elle ne pouvait presque plus se résoudre à le quitter. De là des querelles sans fin, car mistress Cameron, toujours âpre au gains, n’entendait pas qu’on perdît son temps, et que les bonnes aubaines fussent délibérément sacrifiées à la santé de son petit-fils. Les discussions s’envenimèrent, et l’enfant n’en alla guère mieux. Sa mère le vit tout à coup frappé d’un mal qu’elle ne connaissait pas ; ce n’était ni cette langueur chronique dont elle s’inquiétait naguère, ni cette toux opiniâtre qu’il avait contractée dès les premiers temps de sa venue au monde. Il fallut, malgré les remontrances intéressées de mistress Cameron, appeler le médecin. Pourquoi pas le dispensaire, pourquoi pas l’hôpital ? Non ; Jane ne croyait qu’aux médecins payés. Celui-ci vint, examina le petit malade et hocha la tête en reconnaissant cette fièvre spéciale qu’engendre la malaria des maisons mal tenues et trop habitées. Peu après, un des locataires de hasard qui prenaient gîte chez mistress Cameron contracta la même maladie et récrimina violemment contre le petit pestiféré, qu’il accusait de la lui avoir communiquée. Ce fut alors un concert de plaintes et de menaces à tous les étages d’Old-Vennel. Jane ne pouvait y opposer que des pleurs ; ses craintes superstitieuses lui revinrent. — Le malheur me poursuit depuis que j’ai trahi Jock Ewan, redisait-elle à chaque minute… Je suis sûre que l’enfant mourra.

— En ce cas, tant mieux pour vous, interrompit un jour sa mère, que fatiguait cette jérémiade éternelle.

« Je me pris alors à détester ma mère, » ajoutait Jane en me racontant ce triste épisode. Bref, l’enfant mourut. Jane voulut le placer elle-même dans son petit linceul, et comme elle pleurait encore, sa mère l’emmena du côté d’une public house où elles furent bientôt attablées l’une en face de l’autre. — Contre le chagrin, disent les pauvres gens de Glasgow, il n’est rien de tel que le whiskey.

Avec l’enfant, les bons instincts étaient morts. Jane, dont la douleur démonstrative et bruyante devenait petit à petit pour son entourage un sujet de raillerie, ne trouvait de consolation que dans l’oubli de soi-même et dans cette insanité temporaire qui accompagne l’ivresse. Ce remède toutefois n’était pas sans inconvéniens pour une personne dont l’indiscrétion pouvait en compromettre tant d’autres. On eut peur de ses bavardages, de son langage téméraire, des insolences qu’elle se permettait à tout risque, n’ayant plus souci de rien. Mistress Cameron grondait de plus belle ; mais le temps était passé où Jane avait encore quelque déférence pour ses conseils, quelque désir de lui complaire. Après quelques altercations de plus en plus aigres, la mère exaspérée