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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/332

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sorties qu’elle s’est ménagées dans ces derniers jours. Néanmoins, lui ai-je dit à la fin de notre conférence, si Jane reparaissait maintenant, et si elle pouvait nous expliquer par des motifs avouables une démarche dont elle aurait honte et regret, vous serait-il possible de lui rendre votre confiance ? — Je crains que non, m’a-t-elle répondu franchement. — Songez, ai-je repris, que vous allez partir, et que l’épreuve nouvelle serait tentée dans des conditions tout autrement favorables. Vous ne savez pas encore à quelle tentation cette pauvre égarée a pu céder. — Si elle revenait ce soir, a repris mistress Evans, peut-être obtiendrais-je de mon mari quelque retour d’indulgence. Plus tard il serait inutile d’y songer. — Au moins, ajoutai-je, accordez-moi comme dernière faveur de ne rien laisser percer, d’ici à huit jours, sur les déplorables antécédens de cette malheureuse fille. — Pour cela, m’a-t-elle dit, je vous le promets formellement.

C’est ainsi que nous nous sommes quittées. Il me semble, sous l’apparente inflexibilité de cette charitable femme discerner un reste de sympathie pour la pauvre fugitive. Et si je retrouvais Cameron avant que le temps n’ait détruit ce germe précieux ;… mais quel intérêt puis-je prendre encore à cet ingrat labeur, sans cesse recommencé, sans cesse annulé ? Je vous souhaiterais ici, Henry Gillespie, afin de vous initier à toutes mes pensées, et je demanderais à votre rare perspicacité de démêler, dans les mobiles qui me poussent, ceux qui sont de Dieu, ceux qui appartiennent à l’humaine faiblesse.

Brixton, 28 mai 1864.

Je présumais bien que Jane, même en échappant à ma direction, en méconnaissant mes conseils, ne me laisserait pas livrée sur ce qui vient de se passer à des conjectures qui ne pouvaient être en sa faveur, à des interprétations nécessairement fâcheuses et qui devaient lui aliéner mon affection. Voici sa confession, son apologie, si l’on veut, qui m’arrive par la poste, et que je vais reproduire sans les incorrections d’orthographe et de langage qui lui ôteraient, pour un lecteur indifférent, son cachet d’émotion sérieuse et contenue. C’est à mes yeux l’inventaire d’une âme humaine, le procès verbal d’un conflit solennel entre les deux puissances hostiles qui se la disputent. Voilà ce que la vulgarité de quelques détails ne doit pas faire perdre de vue.