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CONFESSION DE JANE.

« Croyez-moi, miss Weston, je ne vous ai pas trompée. Je suis sûre que vous pensez le contraire, et cela n’est point. Dans les premiers temps de mon entrée en condition, je vous ai dit que j’étais heureuse ; je l’étais effectivement. L’ennui est venu, je vous l’ai dit de même. Vous m’avez consolée, vous m’avez promis que la prière me délivrerait de la tentation. J’ai prié, je n’ai trouvé là aucun soulagement, vous l’ai-je caché ?… C’est alors que la tentation est venue, plus forte que jamais. J’allais faire une commission dans le voisinage, et je marchais fort vite quand je me suis sentie retenue par les franges de mon châle… Vous devinez peut-être déjà : c’était Susan Marsh, qui me guettait depuis deux jours. J’ai senti le rouge me monter au visage ; mais quand elle m’eut questionné, je répondis. Puis je la questionnai à mon tour. Elle me parla, comme autrefois, de travailler en commun. Au sortir de Brixton, elle s’était établie comme couturière. L’ouvrage abondait, elle en avait pour deux, et me proposa de nous associer. Elle portait une robe de soie, une capote de taffetas, et m’assura qu’elle gagnait bien plus que moi. Je refusai pourtant de l’aller joindre, et quand elle parla de nous revoir, je la priai de ne plus me venir chercher ainsi, mon parti étant pris de me tenir tranquille. Elle se formalisa de ma réponse, et nous nous quittâmes presque fâchées. — Dès la semaine suivante, une lettre m’arriva. Je reconnus sur l’adresse l’écriture de Susan et ne voulus pas ouvrir l’enveloppe. Toute la journée, je tins bon. Le soir, seule dans ma chambre, la curiosité devint plus forte que toutes mes résolutions… Mon ancienne pal me proposait de passer une journée ensemble, et demandait une réponse. Je ne me décidai que le quatrième jour, après avoir tâché de n’y plus penser, à solliciter un congé. Je sais que je n’aurais pas dû faire une pareille démarche sans prendre conseil de vous, et ne point cacher à ma maîtresse le nom de la personne qui m’écrivait ; mais j’espérais toujours être assez forte à moi toute seule. En attendant, la tête me tournait, et le travail, ce travail monotone qui me rebutait de plus en plus, m’exaspérait au lieu de me calmer. Je me donnais des raisons. Pourquoi Susan m’aurait-elle trompée en me parlant de son retour au bien ? Avant de partir pour l’Amérique, ne m’était-il pas permis de prendre quelques momens pour me distraire et jeter un dernier coup d’œil sur ce Londres que je connais si peu ? Que dire encore ? Je cédai. Susan, prévenue du jour où j’avais congé, vint m’attendre à l’embarcadère des bateaux à vapeur. Nous allâmes ensemble à Greenwich. J’étais d’abord inquiète. La tenue décente, le langage de ma compagne me rassurèrent peu à peu. Je