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si méritées que fussent à leurs yeux, par leur propre faiblesse et par sa prodigieuse puissance, les flatteuses complaisances dont ils usaient envers le jeune général qui se préparait à monter sur le trône des anciens rois de France, peut-être les ministres accrédités à Paris se sont-ils reproché plus tard d’avoir, par leurs adulations excessives, surexcité hors de toute mesure une ambition qui devait devenir si funeste au repos de l’Europe et à leur propre patrie. A coup sûr, et c’est là leur excuse, leur bonne foi était complète. Si l’avenir leur eût été tout à coup dévoilé, combien le comte de Cobenzel eût été stupéfait d’apprendre que cette bienveillance si assidûment cultivée allait prochainement conduire la maison d’Autriche jusqu’aux terribles désastres d’Austerlitz, et pour le cardinal Caprara quelle surprise de voir la protection du nouveau successeur de Charlemagne aboutir en si peu d’années, pour le souverain pontife, à la captivité de Savone !

Cet avenir, qu’il est plus facile d’évoquer après coup que de pressentir à l’avance, était alors profondément voilé à presque tous les yeux, particulièrement à ceux du nouveau légat. Le cardinal Caprara n’avait pas franchi sans émotion la frontière de ce pays de France, où tant de choses s’étaient passées depuis la révolution qui pouvaient sembler étranges à d’autres même que le paisible envoyé du saint-siège ; mais il avait été vite rassuré par l’attitude des autorités civiles et militaires, qui partout avaient reçu du premier consul l’ordre de lui rendre les plus grands honneurs[1]. Dans les villes de guerre, le canon annonçait son arrivée et son départ. Une troupe de cavaliers escortait toujours sa voiture. Il fut harangué sur toute la route par les préfets des départemens qu’il traversait. A Fontainebleau, il reçut la visite du conseil municipal tout entier ; une double escorte de gendarmes et de chasseurs fut commandée pour l’accompagner jusqu’à Paris ; mais aux portes de la capitale ces honneurs cessèrent. Soit qu’il redoutât l’humeur habituellement frondeuse de cette capitale, soit qu’il craignît l’effet qu’une trop cordiale réception de la part de ses habitans aurait pu avoir sur le représentant du saint-père en lui révélant les véritables dispositions des esprits, Napoléon s’arrangea pour que l’entrée de Caprara eût lieu incognito, une heure après la tombée de la nuit. Le légat descendit à la modeste auberge de Rome qu’avait précédemment habitée Consalvi. Le premier consul, en lui envoyant l’abbé Bernier dès le soir même de son arrivée, avait eu l’obligeante attention de lui faire savoir que le grand hôtel de Montmorency, déjà loué pour

  1. Lettre de Napoléon au citoyen Chaptal, 12 fructidor an IX (30 août 1801). Correspondance de Napoléon Ier, t. VII, p. 242.