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le loger avec toute sa légation, serait dans quelques jours entièrement meublé et prêt à le recevoir. Des voitures et des chevaux étaient également mis à sa disposition. Le surlendemain, le légat à latere voyait le premier consul aux Tuileries, mais en audience particulière, car sa présentation officielle ne pouvait avoir lieu qu’au moment même de la publication du concordat. Dès l’abord, Napoléon affecta de se montrer gracieux envers le cardinal. « Il lui parla dans les termes les plus respectueux, les plus flatteurs et les plus tendres de la personne de sa sainteté[1]. » Les complimens terminés et tous deux assis, de ce ton simple, familier, mais plein d’autorité, qui lui était naturel quand il traitait les affaires, il se mit, sans réticences et sans ambages, à entretenir le cardinal Caprara des évêques constitutionnels. Il lui répéta ce qu’à propos d’eux il avait déjà dit au cardinal Consalvi : « C’étaient des gens puissans dans l’opinion, qui cherchaient à faire cause commune avec toute la nation. Il était poursuivi de leurs réclamations ; il n’y avait point de plaintes qu’ils ne fissent contre la teneur du bref de sa sainteté. Les mécontenter absolument était impossible : il pensait donc choisir parmi eux un tiers environ des nouveaux évêques ; mais il aurait soin de prendre les moins compromis et de les obliger à se soumettre entièrement au concordat conclu avec le saint-siège. À cette condition, il comptait que le cardinal-légat leur donnerait immédiatement, en vertu de ses pleins pouvoirs, l’institution canonique. De la sorte il serait possible de faire marcher du même pas la paix politique dont on traitait présentement avec les puissances de l’Europe et la paix religieuse qu’il voulait procurer aux Français par la prochaine publication du concordat[2]. » Le 18 brumaire approchait ; l’on savait déjà dans les cercles bien informés que le premier consul, cédant à une préoccupation facile à concevoir, attachait le plus grand prix à célébrer par l’imposant éclat d’une cérémonie aussi solennelle l’anniversaire de la journée qui lui avait livré le pouvoir. Le cardinal n’ignorait pas ce désir, et, touché de l’accueil qu’il venait de recevoir, il put répondre avec toute sincérité que la publication du concordat ne souffrirait de retard ni de la part de sa sainteté ni de la sienne. Quant à la nomination des évêques constitutionnels, il s’efforça de faire comprendre avec la plus grande douceur que le saint-père userait de toute la condescendance possible envers ceux qui se soumettraient comme des pécheurs ; mais il pria instamment le premier consul de réfléchir que de pareils choix, loin d’éteindre le schisme, lui

  1. Dépêche du cardinal Caprara du 6 octobre, no 2.
  2. Correspondance de Caprara, n°« 2, 3, 4, 5, du 4 au 18 octobre.