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présentée M. Portalis. Quant à mon audience solennelle, l’affaire est combinée de manière qu’il n’y sera pas question du serment[1]. » Quelques jours s’étaient à peine écoulés que le légat avait déjà de sérieux motifs de douter de l’accomplissement de ses vœux. Le premier consul avait témoigné quelque étonnement à M. Portalis de ce qu’il n’y avait pas de constitutionnels sur sa liste. « Je ne dis pas que je veuille en nommer, et je n’entends pas promettre que je n’en nommerai point ; mais je veux absolument que le légat se prononce sur la question de savoir si en principe le consul peut ou non nommer des constitutionnels. » Et tout de suite il avait chargé M. Portalis et l’abbé Bernier de lui rapporter à cet égard une déclaration formelle de la part du légat[2]. Interrogé par eux, le cardinal répondit que « pour mettre fin au schisme qui travaillait si profondément la nation française, et bien qu’avec une peine extrême, le pape n’avait pas entendu interdire au premier consul la faculté de nommer quelques constitutionnels ; c’était à lui, en sa qualité de légat, qu’appartenaient le soin et la liberté de les réunir à l’église, conformément aux règles qui lui avaient été prescrites. Il se réservait, s’il y en avait de nommés, de faire à leur sujet toutes les remarques et représentations qu’il jugerait nécessaires[3]. »

Tandis que la question se posait en ces termes entre le premier consul et le représentant du saint-siège, la paix générale venait d’être signée le 25 mars à Amiens, et annoncée le lendemain dans l’après-midi à Paris, à la grande joie du public. Le premier consul en revint alors à sa première idée favorite, celle de proclamer la réconciliation religieuse de la république française avec le pape, juste dans le même moment où il forçait les autres souverains de l’Europe à se lier avec elle par des traités en règle. La tentation de chanter à Notre-Dame un Te Deum solennel afin de célébrer un si grand événement ferait peut-être céder le légat, et l’on trouverait ainsi moyen de surmonter les scrupules gênans du saint-siège au sujet des constitutionnels.

C’est toujours un spectacle triste et déplaisant que celui de la force luttant avec la faiblesse ; mais on éprouve quelque chose qui ressemble à de l’impatience lorsqu’on voit la force, qui peut encore revendiquer pour elle le bon sens et le droit, user par surcroît de la ruse. Le premier consul, il est juste de le reconnaître, ne manquait à aucun engagement formel en voulant nommer des évêques constitutionnels : ceux auxquels il songeait étaient la plupart

  1. Correspondance du cardinal Caprara, 13 mars 1802.
  2. Ibid., 21 mars 1802.
  3. Ibid.