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LA
LIBERTÉ DE PENSER


La Liberté dans l’ordre intellectuel et moral, par M. Émile Beaussire.


Le terme de libre penseur est généralement entendu dans un sens assez équivoque. Il semble convenu qu’il est synonyme de sceptique et d’incrédule. D’après cette signification, est libre penseur quiconque ne croit à rien, et moins l’on croit, plus on est réputé capable de penser librement. Ainsi, par exemple, le protestant serait plus libre penseur que le catholique, le rationaliste plus que le protestant, l’athée plus que le déiste, et le sceptique absolu plus encore que l’athée. Quelques-uns essaient d’arrêter cette progression aux questions métaphysiques et spéculatives, comme ils les appellent, et voudraient sauver la morale ; mais c’est une contradiction, et d’après l’échelle précédente on sera forcé de dire que celui qui nie la morale est plus libre penseur que celui qui l’affirme ; par la même raison, celui qui nie tout principe en politique sera plus libre penseur que celui qui en reconnaît quelques-uns, par exemple la liberté et la justice. Ce préjugé qui mesure la liberté à la négation pourrait donc aller jusqu’à cette conséquence, que le plus haut degré de liberté d’esprit consiste à ne pas même croire à la liberté. On voit dans quelle logomachie on tomberait, si l’on adoptait sans réserve l’échelle précédente ; mais rien ne nous force d’admettre une telle échelle, ni même le principe sur lequel elle repose. Il y a des incrédules qui, bien loin de penser librement, ne pensent même