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passions, dit l’évêque Pallegoix ; on ne saurait mieux le caractériser, car on ne peut donner le nom de passion au frivole amour du plaisir qui seul a le don de le faire sortir de son indolence. Gouvernement et religion, tout a contribué à priver de ressort cette nature apathique, tout, jusqu’à la douceur du climat, jusqu’à la fertilité du sol, qui ne laissent nulle place aux soucis du lendemain dans les préoccupations de la vie matérielle. Il est difficile de prévoir l’heure du réveil pour une nation chez laquelle ne vibre aucune corde sensible.


III

Le temps des voyages de découvertes est passé. Bien des marins le regrettent, et verraient volontiers l’imprévu continuer à jouer un rôle dans leur vagabonde existence. La seule ressource qui reste à ces dévots d’un autre âge est de se rejeter sur ce que l’on pourrait appeler la monnaie des grands voyages de jadis, et sur les reconnaissances partielles qui se présentent encore dans certaines mers du globe, bien qu’elles y deviennent chaque jour plus rares. Notre planète a été trop bien cadastrée par les générations diverses d’explorateurs nautiques qui s’y sont succédé, pour laisser désormais à personne l’espoir d’attacher son nom à quelque terre nouvelle ; mais parfois, à l’écart des grandes routes maritimes incessamment battues, quelque ligne de côte sera restée ignorée ou du moins oubliée, quelque golfe aura été dédaigneusement négligé par le voyageur impatient d’arriver. C’est là que de loin en loin peuvent encore trouver à glaner quelques maigres épis les admirateurs de Cook et de Lapeyrouse. S’ils ne recueillent nulle part la gloire de la découverte, au moins ont-ils la consolation, dans l’étroite mesure que comporte notre époque, d’être sortis de la voie commune pour vivre quelques jours de la vie d’aventures ; un reflet affaibli des généreuses émotions qui animaient leurs devanciers sera venu jusqu’à eux. Ce fut notre bonne fortune de rencontrer dans le golfe de Siam un de ces coins oubliés où ne passe peut-être pas un navire en dix ans. Les deux côtes du golfe sont à peu près dans ce cas l’une et l’autre ; mais sur la côte occidentale quelques ports, comme Ligor ou Patani, ont été jadis des places commerciales d’une certaine notoriété, tandis que sur la côte orientale, où nous devions nous rendre, hors d’un cercle bien étroit, rien n’est connu. Nous étions assurés d’avance de n’y être point troublés dans nos pérégrinations.

Les Siamois, les Cambodgiens et les Annamites se retrouvent sur cette côte, échelonnés dans le même ordre qu’à l’intérieur de la