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légitime à toute chance d’outrage de la part des rebelles. Trouverions-nous Pim triomphant où l’autorité de Narodom rétablie ? Dans le doute, on fit prendre des armes aux douze ou quinze canotiers de l’embarcation qui devait remonter la rivière jusqu’à Kampot ; c’était plus qu’il ne fallait pour conquérir au besoin toute la province. La précaution fut d’ailleurs inutile : le gouverneur n’avait eu garde de revenir ; Pim s’était réfugié sur le territoire annamite, de sorte qu’à proprement parler la ville n’appartenait à personne, et nous y pûmes jouir en paix de la cordiale hospitalité de la mission française. Le père Hestrest la dirigeait depuis huit ans ; chacun de nous fut d’autant plus heureux de le rencontrer que le bruit de sa captivité et de sa mort avait couru à Bangkok. Il nous conta comment son petit troupeau, composé d’une centaine de chrétiens, avait pu échapper sain et sauf aux dangers de l’insurrection ; il nous fit voit sa modeste chapelle, son jardin, un orphelinat de filles qu’il avait fondé, et se montra de tout point satisfait de l’humble existence qu’il avait choisie. La ville, d’une population de 7 à 8,000 âmes, avait un air d’aisance et de propreté rare dans ces contrées. les Chinois y étaient nombreux, indice assuré d’un certain commerce. On nous fit admirer dans le quartier officiel un palais construit l’année précédente pour le cas où le roi eût voulu visiter sa bonne ville de Kampot. C’était le vrai palais de chaume, la salle du trône ouverte à tous les vents, des hangars à lits de camp pour la suite, sans plus de luxe inutile que n’en devait comporter jadis la royauté dans les temps héroïques. Sa majesté cambodgienne avait dû venir y recevoir l’investiture de sa couronne des mains d’un délégué de la cour de Siam ; mais notre influence l’emporta, le couronnement eut lieu sous nos auspices à la capitale du Cambodge, et le palais de Kampot, lorsque nous le visitâmes, n’avait pas encore été honoré de la présence du souverain.

Bien que quelques milles seulement séparent Kampot du port annamite de Cancao ou d’Hatien, les deux villes n’en ont pas pour cela plus de relations l’une avec l’autre. Hatien, qui n’est plus qu’un village insignifiant, a néanmoins joué un rôle historique au siècle dernier comme étant un des principaux centrés de la colonisation chinoise dans le pays. Son nom se retrouve à plus d’une page des chroniques indigènes ; elle fut peuplée et florissante, et c’est à ces souvenirs, c’est au prestige que la civilisation Chinoise n’a cessé d’exercer sur l’esprit des Annamites qu’elle doit de conserver encore aujourd’hui une réputation peu justifiée d’élégance et de richesse. Cette prospérité fut l’œuvre du Chinois Mac-Cu’u, émigré de Canton vers les premières années du XVIIIe siècle, qui, après s’être solidement établi sur ce territoire, en offrit la