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à la vérité que dans telle société particulière, où règne l’autorité d’une foi non discutée, il y a une sorte d’unité de croyances, une paix apparente qui vient à se dissiper lorsque s’élèvent l’examen et à sa suite le doute ; mais ce à quoi on ne pense pas, c’est que grâce à des croyances contraires, également intolérantes, les hommes étaient partagés en mille camps ennemis, et que le genre humain, vu dans son ensemble, offrait un spectacle d’anarchie au moins égal à celui qui résulte, dit-on, de la libre discussion.

Au reste, si j’affirme avec Descartes que l’homme a le droit d’examiner ce qu’on lui propose de croire et de ne se décider que sur l’évidence, je ne veux point dire pour cela que l’homme ait le droit de penser, selon sa fantaisie et selon son caprice, tout ce qui peut lui passer par la tête, que je puis volontairement et à mon gré déclarer vrai ce qui est faux et faux ce qui est vrai, prendre ma passion pour souverain arbitre et faire de mon bon plaisir la règle de mes jugemens : ce serait confondre la liberté avec l’arbitraire, et je ne sache pas qu’aucun philosophe ait jamais réclamé ce droit extravagant. Les sceptiques eux-mêmes ne l’ont point entendu ainsi. Quelques poètes seuls ont quelquefois réclamé pour toutes les fantaisies de leur imagination cette sorte de droit divin, mais personne ne leur a donné raison ; c’était d’ailleurs dans le royaume des chimères et des rêves. Quant au royaume de la vérité, nul n’y est libre qu’à la condition de se soumettre au joug de la vérité seule. Tout droit suppose un devoir, le devoir d’écarter toutes les causes d’erreur et d’illusion qui nous captivent et nous égarent, les passions, l’imagination, les affections mêmes, de dégager en un mot de tous les nuages qui la couvrent la pure lumière de l’évidence.

Il est très singulier que l’on conteste l’examen comme un droit, tandis qu’en même temps on l’impose comme un devoir. Lorsque les autres hommes ne sont pas de notre avis, que leur répondons-nous d’ordinaire ? C’est qu’ils parlent sans avoir étudié ni examiné la question. Considérez la chose de plus près, leur disons-nous, et vous serez de notre avis. Écoutez les prédicateurs dans les chaires, ils vous diront que, si on ne croit pas à la religion, c’est qu’on ne l’a pas étudiée, qu’on n’y a pas appliqué son examen. Ils vous invitent à cet examen et vous garantissent que, si vous vous y mettez de bonne foi, vous serez convaincu ; ils parlent contre les préjugés qui éloignent de la religion et vous recommandent de vous en affranchir ; ils tonnent contre le respect humain et font appel à la libre fierté de l’homme, qui doit s’élever contre un joug servile, humiliant. Fort bien jusqu’ici, voilà l’examen qui a passé à l’état de devoir, et tous nous parlons ainsi quand nous voulons persuader et convertir les hommes. Comment se fait-il donc que ce même exa-