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que lui fournit la logique judiciaire, il déclare vrai ce qui lui paraît évident. Ainsi procède le médecin qui cherche les moyens de guérir, le philologue qui cherche le sens d’un texte obscur ou d’une inscription mutilée, le législateur qui fait une loi, le spéculateur qui entreprend une affaire, je dis plus, le théologien qui soutient un point de dogme, enfin l’adversaire de la liberté de penser qui, en la combattant, s’en sert lui-même, s’adresse à elle et cherche à avoir raison contre la raison.

Dans l’ordre moral et social, la liberté de penser semble particulièrement périlleuse et scandaleuse. Chaque homme, dit-on, aura donc le droit de décider ce qui est bien et ce qui est mal ? Il pourra prendre l’un pour l’autre à sa volonté, justifier ses passions par ses opinions, et lorsqu’on voudra le condamner au nom d’une règle reconnue par tous, il pourra toujours répondre que chacun est maître de sa manière de voir. Cette difficulté ne porte pas contre la liberté de penser, car de tout temps, sous tous les régimes philosophiques et religieux, les hommes ont su trouver des sophismes pour couvrir à leurs propres yeux leurs passions et leurs faiblesses. L’ambitieux a toujours coloré ses bassesses ou ses crimes du prétexte du bien public, le vindicatif de celui de l’honneur blessé ; le voluptueux ne cherche pas même de prétexte et se contente de s’excuser à ses yeux en disant que la chair est faible. Tous ces motifs sophistiques ont toujours été les jeux et les couleurs de la passion complaisante. La libre pensée n’y est pour rien et servirait plutôt à les disperser, car en habituant l’homme à voir clair en toutes choses, elle l’habitue à voir clair en lui-même. Au reste, les inconvéniens qui pourraient résulter dans la pratique de l’emploi de telle ou telle méthode ne peuvent prévaloir contre cette méthode elle-même, si elle est légitime et raisonnable. Quoi qu’on fasse et quoi qu’on dise, il n’y a qu’une seule manière de trouver la vérité : c’est de la chercher, ce qui ne peut se faire que par l’examen.

Non, dira-t-on, il ne s’agit pas de chercher ni de découvrir la vérité, elle est toute trouvée ; il ne s’agit que de la conserver et de la transmettre. Il n’y a plus à chercher s’il y a un Dieu, s’il y a une âme, s’il y a une vie future ; l’instinct du genre humain a résolu ces grands problèmes : il n’y a plus qu’à préserver ces solutions des atteintes de l’esprit d’examen, qui n’est jamais que l’esprit de doute et de ruine. Les mauvaises passions plaident trop haut en faveur de l’incrédulité. On ne peut sauver la vérité qu’en s’interdisant à soi-même et en interdisant aux autres un examen téméraire. La méthode de Descartes a égaré par son apparente innocence et sa spécieuse grandeur les plus fermes croyans du