Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/50

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

XVIIe siècle ; nous ne pouvons plus nous y tromper aujourd’hui, et nous savons bien que le doute de Descartes aboutit infailliblement au doute de Voltaire.

Ceux qui parlent ainsi croient sans doute défendre la cause de la vérité ; mais ils ne voient pas qu’ils lui portent de leur propre main les coups les plus redoutables et les plus profonds. Eh quoi ! ces vérités éternelles et inébranlables ne pourraient supporter l’examen sans périr, et celui qui les étudie librement et consciencieusement serait fatalement conduit à en douter comme Voltaire, ou à les nier comme Diderot ! Quelle est cette vérité qui ne peut se sauver que dans le silence, le mystère et la servitude ! Ne nous parlez pas des abus possibles de la liberté ; il est trop facile de répondre par les abus de l’ignorance, de la superstition et du fanatisme. D’ailleurs n’est-ce pas se faire une idée bien singulière de la vérité que de se la représenter comme une chose qui passe de main en main et que l’on met sous clé pour que personne n’y touche ? Une vérité ne mérite pour moi ce nom que lorsqu’elle est telle à mes propres yeux, lorsque je me la suis appropriée par l’étude, par la discussion, par la démonstration, lorsque j’en ai trouvé les racines dans les principes de ma raison. Je ne me refuse pas sans doute à me soumettre à l’autorité du genre humain, car cela même est un des principes de ma raison ; mais encore faut-il que je m’assure que telle ou telle vérité a réellement pour garant la voix unanime des hommes, et cette voix elle-même, pour me subjuguer, a besoin d’être d’accord avec ma conscience, car l’expérience m’apprend qu’elle s’est plus d’une fois égarée. Enfin, pour tout dire, accepter une vérité transmise sans la choisir, même après réflexion et contrôle, c’est ressembler aux pies et aux perroquets qui prononcent certaines paroles sans y attacher aucun sens.

Il est, dit-on, une limite où la pensée doit nécessairement s’arrêter : c’est lorsqu’elle rencontre la parole divine, l’autorité de la révélation. Là est le critérium qui nous permet de distinguer les vérités accessibles à l’examen des hommes et celles qui leur sont interdites et fermées, ce qui est abandonné aux disputes humaines et ce qui les surpasse. Le surnaturel est le domaine sacré où la parole humaine doit se taire et la pensée s’humilier. Cette objection n’atteint pas les principes que nous avons posés. Les vérités surnaturelles, nous dit-on, limitent la liberté de penser. Fort bien, mais à quelle condition ? À cette condition qu’elles soient de vraies vérités surnaturelles, car si elles n’en sont, pas et que je soumette mon esprit à de soi-disant vérités surnaturelles, je renonce par là même à la vérité et je tombe volontairement dans l’erreur. Telle est