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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/576

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Tel devait être le sentiment d’un voyageur qui suivait à cheval, un soir de mai, le sentier abrupt de l’Hermitage, car il s’était arrêté sur la crête du coteau, et renversé sur sa selle, les narines dilatées comme pour mieux aspirer les émanations printanières, les yeux largement ouverts comme pour embrasser d’un seul regard tout l’horizon, il semblait possédé par une émotion joyeuse. Chaudement éclairés par le soleil couchant, le cavalier et sa monture se profilaient sur l’horizon. La bête, assez mal harnachée, tenait le milieu entre le cheval de selle et le cheval de labour. Le cavalier, svelte, mince, vêtu avec une certaine élégance, pouvait avoir vingt-huit ans. Il était blond ; ses yeux, d’un bleu très foncé, exprimaient une tendance à la rêverie plutôt qu’à l’action ; ses traits délicats manquaient d’énergie et portaient l’empreinte d’une sorte de fatigue résignée. Il jetait à la vallée de ces regards qu’on a pour un ami retrouvé après une longue absence. Les toits gris de la ville, les vergers en fleur des borderies, les prés, où l’herbe s’agitait mollement, les eaux de la rivière, que les hirondelles effleuraient d’une aile rapide, semblaient avoir une vieille et douce histoire à lui conter. Tout à coup son attention, jusqu’alors incertaine et flottante, parut se fixer curieusement sur un pli de terrain où, à cent pas au-dessous de lui, une source ombragée de vieux saules s’était creusé un réservoir.

Là, dans l’herbe épaisse s’agitait un personnage dont la mine et l’occupation parurent intéresser particulièrement le voyageur. Guêtré jusqu’à mi-jambes, vêtu d’une redingote brune, il était agenouillé sur la pelouse et fouillait ardemment le sol, à l’aide d’un outil qui tenait de la bêche et de la spatule ; à côté de lui, une boîte de fer-blanc de forme oblongue scintillait au soleil couchant et s’entre-bâillait, laissant voir des plantes fraîchement cueillies. Il avait rejeté son chapeau de paille en arrière, et, comme il se trouvait à peu de distance, le voyageur pouvait saisir le jeu de sa physionomie mobile et passionnée. — Son front haut et dégarni, son œil petit et vif, son nez d’aigle et ses lèvres spirituelles, tout chez lui était en mouvement. Sa figure longue avait, sous le hâle et malgré les négligences d’une toilette un peu rustique, une expression fine et distinguée. Il était grand, maigre, et paraissait encore vert et vigoureux, bien qu’il approchât de la cinquantaine. Au bout de quelques instans, il amenait à lui avec mille précautions une plante terminée par un oignon, et alors ses traits exprimèrent une satisfaction complète ; ses lèvres sourirent, ses yeux scintillèrent. Avec une vivacité nerveuse, il chercha dans sa redingote une loupe et examina minutieusement sa trouvaille, qu’il enferma ensuite avec soin dans l’étui de fer-blanc ; puis il se frotta les mains, jeta prestement la boîte