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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/579

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— Ah ! bonnes gens, si je le connais ! s’écria la meunière ; ce ne peut être que le gars à Chantepie, l’ancien meunier des Ages, que feu M. Jousserant, votre père, a mis à la porte dans les temps.

La figure de Maurice s’était rembrunie. — Jacques Chantepie, murmura-t-il, j’aurais dû le deviner… Je croyais que ce garçon s’était fait soldat ?

— Oui, monsieur Maurice ; mais il est revenu au pays au bout de ses sept ans, et on peut bien dire que lui et son chien sont les deux plus chétites bêtes de trois lieues aux entours. Ils vivent à eux deux de braconnage et de maraude. Depuis son retour, il ne passe pas une journée sans rôder près du moulin. Il en veut à votre famille, il en veut à mon homme, qui a remplacé son père, il en veut à Sylvain et à tous les gens des Ages. Je l’ai dit souvent à Jacquet : « ce gars-là nous amènera un jour quelque malheur ! » Si on pouvait seulement le faire partir du pays ! mais il’est protégé par le cueilleux d’herbes, à qui il vend des oiseaux rares et toute sorte de bêtes curieuses qu’il prend aux collets.

— Le cueilleux d’herbes ? répéta Maurice étonné, et il pensa involontairement à l’inconnu qu’il avait vu herboriser le long du coteau de l’Hermitage.

— Eh ! oui, le cueilleux d’herbes, c’est le nom qu’on donne ici à M. Désenclos, reprit la meunière en souriant.

— M. Désenclos ? fit brusquement le jeune homme.

— Eh ! M. Désenclos, de Poitiers, qui a épousé Mlle Lucile des Ponteyes, de Saint-Clémentin… Mon pauvre monsieur Maurice, ne vous rappelez-vous plus Mlle Lucile ?

Maurice resta un moment silencieux.

— Mais, reprit-il, M. Désenclos habite donc Saint-Clémentin ?

— Voilà tantôt quatre ans qu’il demeure aux Palatries. Il a acheté le domaine à la mort du vieux Dupuis ; il a jeté bas les anciennes bâtisses et les a remplacées par une belle maison tout en pierre et en brique, avec des toits en ardoise. Tenez, on voit d’ici les pignons reluire au clair de lune.

Elle força Maurice à se pencher à la fenêtre, et lui montra du doigt, dans la direction de Saint-Clémentin, de lointaines toitures dépassant les peupliers et argentées doucement par la lune. Tandis que le jeune homme paraissait les considérer avec attention, la meunière continuait : — Ah ! monsieur Maurice, c’est le plus beau domaine du pays. M. Désenclos y a dépensé des monts d’or, rien que pour planter les jardins, parce que la jeune dame aime les fleurs. Pauvre mignonne ! elle ne pouvait se plaire à Poitiers, elle y séchait d’ennui ; mais depuis qu’elle est aux Palatries, elle a repris ses couleurs, elle est fraîche comme une guigne. Elle paraît