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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/603

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Apprends-moi la manière
Dont on se fait aimer.

— Quelle belle soirée, n’est-ce pas ? dit Lucile. — Et tout en parlant elle se mit à courir dans la bruyère, puis s’arrêta au pied d’un arbre, essoufflée et rieuse. — Oh ! je suis bien contente, dit-elle ; n’est-ce pas que nous reviendrons ici ? n’est-ce pas que vous ne partirez point ?

— Je ferai tout ce que vous voudrez, dit Maurice enivré.

Il lui saisit la main et la couvrit de baisers. La jeune femme se rejeta brusquement en arrière. — Vous m’en voulez, et je vous ai déplu ?… dit-il d’une voix timide.

— Non, mon ami, répondit-elle, n’ai-je pas confiance en vous ?

Elle lui tendit de nouveau sa petite main et serra la sienne avec une vivacité nerveuse.

IV.

Ce soir-là, à la même heure, M. Désenclos traversait la brande du Puits-Carré, au retour de son excursion. Il était escorté de Jacques Chantepie et du chien Rougeaud. La journée avait été bonne, et la boîte du cueilleux d’herbes était remplie de précieux échantillons ; aussi était-il gai et dispos. Sa longue figure fine était éclairée d’un sourire, et il s’entretenait joyeusement avec Jacques de ses trouvailles et du succès de ses recherches. Chantepie l’écoutait d’un air attentif et respectueux. Il avait pour M. Désenclos une sorte de culte qui tenait de l’attachement du chien pour son maître et de l’admiration du sauvage pour l’homme civilisé. Lors d’un démêlé qu’il avait eu avec la justice, l’influence du propriétaire des Palatries l’avait seule sauvé de la prison ; mais c’était là le moindre des liens qui le retenaient près de M. Désenclos : ce qui l’avait surtout touché et conquis, c’était la science du cueilleux d’herbes et son amour des choses de la nature. Enfant des bois, braconnier, dénicheur d’oiseaux, Chantepie avait été saisi et émerveillé du respect de ce bourgeois pour les plantes sauvages et les insectes. Le savoir profond et familier de M. Désenclos lui inspirait un sentiment de vénération. De son côté, le propriétaire des Palatries avait apprécié les nombreux talens de ce vagabond émérite ; il avait reconnu dans Jacques une expérience très sûre des détails de la vie forestière et un goût instinctif pour les sciences naturelles. Dans tout le pays, Jacques était le seul homme qui s’intéressât à ses découvertes, et dans tout le canton aussi M. Désenclos était le seul qui