Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/683

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’offre comme son opinion et son jugement. C’est la bile de Saint-Simon et la rancune de d’Argenson qui parlent seules dans le peu de mots qui lui échappent sur le duc de Noailles. Or qui ne sait ce qu’était le vindicatif auteur des mémoires en ces belles années de Louis XV, en face du tout-puissant favori et conseiller du roi ? Un adversaire aigri, isolé, discrédité, ayant sur le cœur et ruminant, dans cette ombre pleine de vengeances où il s’était blotti, l’opposition faite par le duc, du temps de la régence, à ses idées financières et notamment à son fameux projet de banqueroute. Par l’influence de ce même Noailles, d’Argenson en 1747 avait quitté le ministère ; qui donc a jamais pardonné l’enlèvement d’un portefeuille ? Dans la retraite, d’ailleurs honorable, où le ministre a abrité et noblement occupé sa disgrâce, il s’est souvenu et il s’est vengé. Quant à Maurice de Saxe, M. Michelet lui refuse et le courage et le génie. Quel est son garant ? Richelieu. Il demande des notes au héros de Closterseven sur la journée de Fontenoy. Tenons-le donc pour assuré : Maurice n’était qu’un intrigant voluptueux, enfant gâté de la mode, poussé à la gloire par une cabale ; le grave maréchal de Richelieu nous a donné sa parole. La force d’âme de ce soldat, qui s’arrache, comme nous le dit Barbier, aux mains de quatre médecins pour aller battre les Anglais, inspire à M. Michelet d’agréables réflexions. « Toute cette affaire, dit-il, était menée par un hydropique qui tenait enfin le commandement en chef tant poursuivi par lui, et qui, mourant, ne voulait pas le lâcher. » Voilà les renseignemens que M. Michelet a préférés à des pièces originales, à des travaux récens d’une incontestable solidité.

Avare d’estime et de justice envers nos généraux et nos hommes d’état, il en est prodigue à l’égard de certains étrangers et particulièrement du roi de Prusse. Qu’on admire Frédéric, sa fermeté dans le péril, ses talens militaires, son active énergie, cette naturelle élévation d’esprit qui, tout jeune encore, du fond de l’Allemagne et du corps de garde paternel, le tourne vers notre lumière et fait de ce petit-fils des électeurs de Brandebourg un élève enthousiaste de notre génie, nulle admiration n’est mieux justifiée, et l’on ne peut qu’y souscrire ; mais si l’on est sensible au spectacle que donne à l’Europe cette calme et forte intelligence, ornée de grâce littéraire et relevée de philosophie, qui anime le corps informe de la Prusse, qui l’agrandit et l’illustre en l’animant, il faut voir aussi dans cet homme extraordinaire ce que partout ailleurs nous savons si bien découvrir, signaler, exagérer : non-seulement les travers de l’homme, mais les torts du roi, une politique allégée de scrupules, un patriotisme beaucoup plus étroit que celui de ses admirateurs, l’égoïsme qui se cache sous ce patronage de la pensée exercé non sans faste. Que Frédéric reste ce qu’il a été vraiment,