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énergiquement l’effort patriotique où le roi s’unit à la France. Ils présidèrent à cette reprise de l’entrain guerrier, à ce réveil momentané de la fortune. En ce temps d’activité et de prospérité sitôt démenties, l’un fut le conseil, l’autre le bras. Le duc de Noailles, comme le prouve la correspondance publiée par M. Camille Rousset, était un esprit clairvoyant, avisé, d’une rare fertilité d’idées et d’expédiens, et d’une sagesse un peu verbeuse. L’âge avait tempéré cette fougue d’imagination que les mémoires contemporains ont décrite en termes si expressifs : en diminuant la vivacité de l’intelligence, il en avait accru la lucidité. Excellent dans la délibération, grâce à cette abondance de vues où puisait largement la stérilité d’autrui, il était indécis et partant médiocre dans l’exécution. Malheureux comme général, il nous rendit cependant un signalé service : il sut trouver dans les rangs secondaires de nos armées un gagneur de batailles. Il devina son génie méconnu, et, loin de le jalouser et de le traverser, il le défendit contre les petitesses ombrageuses de l’esprit de cour, il lui mit dans la main le bâton de maréchal et l’épée de la France. Citoyen sans cesser d’être courtisan, servant l’état avec zèle sans s’oublier lui-même, d’un dévouement qui s’arrêtait au sacrifice et restait compatible avec l’intérêt personnel, le duc de Noailles avait ce courage tempéré d’adresse, cette fermeté insinuante qui hasarde à propos des vérités ingrates et dont le triomphe consiste à être utile sans déplaire, à remplir son devoir en gardant son crédit. L’instinct et l’amour du grand, qu’il avait retenus du précédent règne, un certain tour bizarre dans l’imagination, qui lui était commun avec Maurice de Saxe, rapprochèrent ces deux hommes et les mirent d’intelligence pour le bien de l’état et le service du roi. Tandis que le duc de Noailles enseignait à Louis XV les maximes militaires du temps de Louis XIV, le comte de Saxe en ressuscitait les énergies éteintes. Noailles avait conservé la tradition héroïque ; Maurice possédait un secret plus précieux, car il avait l’inspiration même et le génie de l’héroïsme. Sous sa rude écorce de soldat, cet étranger, sauvage et subtil, violent et rêveur, calculateur et chimérique, nature agitée d’un perpétuel orage de desseins ambitieux et de passions sans frein, apportait à la France de 1743 les hautes qualités dont elle sentait le plus vivement l’absence. Magnanime, indomptable, neuf et plein de sève, se ruant au plaisir, aspirant à l’illimité, méditant l’impossible, il faisait explosion par le scandale de sa force au milieu des vaines élégances d’une race fine et usée.

Quand le moment vient pour M. Michelet de se prononcer sur Noailles et sur Maurice, il se renseigne auprès de qui ? Auprès de leurs ennemis politiques. C’est son unique moyen d’information. Content de ce témoignage suspect, il en exprime la fleur, et nous