Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/722

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.


Non, tu ne mourras pas, langue à jamais sacrée,
Car l’avenir et toi, dans le même moment,
Vous êtes nés tous deux du même embrassement,
Et ce monde est vivant pour qui tu fus créée.

Et ce monde immuable a l’âme d’autrefois ;
Il est comme il était, misérable et superbe,
Au jour où tu chantas pour la première fois,
Quand la chair se fit âme et l’âme se fit verbe.

Il ouvre encor sur lui des yeux de nouveau-né,
Et pour asseoir son rêve il cherche encor sa base ;
Hélas ! il aime encore et n’est point pardonné,
Et le mal germe encore au fond de son extase.

Il est aussi perplexe, aussi seul, aussi nu,
Aussi désespéré comme aussi ravi d’être ;
Il veut toujours savoir ce qu’il ne peut connaître
Et regrette toujours ce qu’il n’a pas connu.

Et c’est aussi pourquoi tu dois être immortelle
Autant que la douleur, autant que le plaisir,
Toi qui poursuis toujours sans les jamais saisir
Les sons doux comme lui, les mots profonds comme elle ;

Toi qui lui dis tout haut ce qu’il se dit tout bas,
Le souffle qui le pousse et l’ombre qui le leurre,
Et tout ce qui se rêve et tout ce qui se pleure,
Et tout ce qui se chante et ne se parle pas.

Harmonieux écho de l’âme de la terre,
L’univers t’appartient par le rhythme et le son :
La fleur par son parfum, l’oiseau par sa chanson,
L’homme par la souffrance et Dieu par le mystère.

Et comme il est sans fin, tu ne peux pas finir.
Et toi, science aride et froide qui nous mène,
Crois-tu suffire seule à l’espérance humaine,
Que l’on voit ton présent nier son avenir ?

En quoi tes visions valent-elles ses songes ?
Vous cherchez le chemin ; qui des deux a raison
De le chercher à terre ou bien à l’horizon ?
Quels droits ont tes erreurs à railler ses mensonges ?