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L’IMMORTELLE.


Tu détournes les yeux ; que ne tends-tu la main ?
As-tu donc tant d’orgueil ou si peu de mémoire
Que tu ne saches plus que la loi de l’histoire,
Fait des rêveurs d’hier les sages de demain ?

Par quel sentier certain te crois-tu donc guidée,
Et quel est-il ce Dieu dont tu tiens le flambeau ?
Où donc est-il écrit que le vrai meurt du beau ?
Et si le fait est roi, que sera donc l’idée ?

Ineffables parfums des pays inconnus,
Brises de l’infini, confuse certitude,
Vous n’êtes pas devant la logique et l’étude,
Et le pays n’est pas d’où vous êtes venus.

Donc vous avez menti, rumeurs de la pensée,
Vous n’êtes pas ! Pour être, il faut avoir un nom,
Et quand la foi nous parle, il faut lui dire non !
Réponds, cœur bondissant, réponds, âme oppressée ?

Ce n’est plus qu’un murmure inutile et charmant
Que font ces voix sans lèvre où parlait Dieu lui-même.
Dieu t’a menti, vieillard ; jeune homme, Dieu te ment,
Même à l’âge où l’on meurt, même à l’âge où l’on aime.

O poésie ailée et qui nous vient du ciel,
Langage de l’azur, du vent et de l’espace,
Chant de tout ce qui va, voix de tout ce qui passe,
Doux parler qui se fait comme se fait le miel !

Je m’élève plus haut quand c’est lui qui m’élève,
Mon vol est plus rapide et son sillon plus droit…
Non ! rien n’est aussi sûr que ce que l’âme croit,
Non ! rien ne va si loin que ce que l’âme rêve.

Non ! et tant que le sphinx ne voudra pas donner
Le mot de cette énigme insoluble de l’Etre,
Que l’homme, qui parfois se lasse de connaître,
Ne se lassera pas de vouloir deviner ;

Tant qu’il ressentira sans la pouvoir décrire
L’inquiète fureur de l’inapaisement ;
Qu’une larme sera le plus beau diamant
Du misérable écrin que l’on nomme un sourire ;