Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/747

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

par le fait ils n’ont à peu près rien produit. Dans la vie civile, ils ont conservé avec obstination un système d’inégalité qui s’est opposé à leur multiplication et a réduit en quelques siècles le nombre des Spartiates à trois cents de neuf mille qu’ils étaient d’abord. Dans l’ordre politique, ils ont défendu avec une opiniâtreté violente les principes féodaux qu’ils avaient apportés d’Asie et cette fausse liberté qui n’était que pour eux, et dont l’inégalité était la base. Quand est venue la guerre étrangère, cette noblesse sans écus a trahi la cause commune, fait alliance avec les Perses, introduit en Grèce leur action dissolvante et préparé l’asservissement de la patrie. En religion, nul progrès, la lettre morte, le rite sans intelligence. Dans les lettres et les arts, stérilité presque absolue. Ainsi quand la culture de la vigne, apportée sans doute ou conservée par eux, se fut répandue dans le monde ionien et avec elle le culte de Bacchus, aussitôt que se furent appliqués les principes de liberté et d’égalité dont Solon fut le promulgateur, on vit naître le drame. Au chœur sacré s’ajouta un récitateur des aventures de Bacchus, ce fut le premier acteur. Bientôt s’en produisit un autre, le récit devint dialogue. Pour être vu et entendu de la foule, on monta sur une estrade de bois et l’on représenta la tragédie, pendant que le chœur bachique chantait l’hymne autour de l’autel ; mais pour que ces transformations pussent avoir lieu, il fallait que le poète fût indépendant du prêtre et affranchi des entraves de la religion.

Il est incontestable que l’origine grecque des deux principales formes du drame doit être cherchée parmi les Doriens. Sans tenir compte de faits historiques un peu vagues et en partie contestables, tout le monde sait que les chœurs sont écrits en langue dorienne et qu’ils ont continué de l’être jusqu’à la fin de la tragédie. C’était donc une tradition bien établie que l’hymne bachique d’où le chœur tragique avait pris naissance devait être un chant dorien. D’un autre côté, Aristote nous apprend que ce chant était composé dans l’harmonie dorienne, c’est-à-dire dans le mode mineur, mode que Platon, juste cette fois dans ses préférences aristocratiques, appelle avec raison le mode grec par excellence. De plus il est constant que la forme poétique nommée dithyrambe fut appliquée pour la première fois à l’hymne bachique chez des Doriens à Corinthe, Sicyone et Phlionte, et que les chœurs d’Arion de Méthymne y prirent à cause de cela le nom de chœurs tragiques. C’était dans la première moitié du VIe siècle avant Jésus-Christ, à une époque où l’on ne songeait nullement à ce qui fut plus tard la tragédie ; par conséquent ce titre de dithyrambes tragiques signifiait seulement l’hymne du bouc, revêtu d’une forme chorale déterminée. Quant à cette forme, on aurait tort d’en attribuer l’invention soit à Arion lui-même, comme paraît le croire Otfried Muller d’après Hérodote,