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Page:Revue des Deux Mondes - 1866 - tome 65.djvu/762

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le modèle disait : « Ces sortes de traits sont de l’espèce de ce qu’on appelle en Italie caricature… » La Bruyère lui-même parlant de La Fontaine, dit : « Ce n’est que légèreté….. » Les Caractères et les Fables, les petites lettres de Pascal, tout cela est-ce donc de la littérature légère ? Voltaire est-il de l’ordre sérieux dans la Henriade, de l’ordre frivole dans son roman, de Candide et dans ses lettres ? Et de nos jours faut-il à tout prix, pour être sérieux, avoir écrit un traité de politique ou un poème humanitaires Voila ce qu’il faudrait voir. Toute réflexion faite, il se pourrait bien que ces distinctions fussent assez vaines, et que la manière la plus neuve de caractériser, de classer les œuvres de l’esprit, fût encore la plus vieille, celle qui admet tous les genres hors le genre ennuyeux, qui ne reconnaît que de bons et de mauvais écrivains. La meilleure, la vraie littérature sera toujours celle qui, sérieuse ou légère, remue, attire, intéresse parce qu’elle vit, parce qu’elle a la sève et le mouvement.

Ce qui est certain, c’est qu’aujourd’hui plus que jamais l’esprit tend à briser toutes les barrières et à passer par-dessus les murs pour courir les aventures ; c’est, que les mœurs intellectuelles aussi bien que les thèmes d’inspiration, et d’observation se transforment avec la société elle-même ; c’est qu’enfin dans cette mêlée confuse où tout se hâte et se précipite, il se forme visiblement en dehors, des traditions à demi respectées jusqu’ici, comme des familles nouvelles, comme des groupes nouveaux, toute une littérature inquiète, militante, libre d’allures autant que de langage, faisant de l’école buissonnière un idéal. Ce n’est pas, si l’on veut, la littérature à grandes proportions et à grande ambition. Il est bien ; clair qu’elle ne se consume pas dans la méditation et dans l’étude, et ce n’est pas de ses rangs, je le crains, ou du moins ce n’est pas des régions où elle se complaît que sortira le porte-drapeau de la rénovation de l’intelligence contemporaine. La curiosité hardie et la facile ironie sont ses muses de prédilection, et l’improvisation est son procédé. On continuera de l’appeler la petite littérature. Telle qu’elle est, elle vit, elle tend à tout envahir ; elle s’empare du roman et du théâtre ; elle a ses œuvres et ses journaux, et elle compte même déjà ses jeunes capitaines, M. Henri Rochefort, M. Jules Vallès, M. Jules Claretie, M. Albert Wolff, sans parler de l’armée et de tout ce qui vient à la suite de l’armée, spéculateurs, metteurs en scène, praticiens de l’exhibition, publique. C’est une génération nouvelle qui fait sa trouée et qui est en manche, impatiente de se produire et d’avoir sa part de soleil. Elle a du talent, de la verve, l’humeur plaisante, et vive, sans nul doute ; il ne lui manque un peu que d’avoir la jeunesse de l’esprit, comme elle a la jeunesse de l’âge. Un des caractères de cette école nouvelle en effet, c’est qu’elle n’est point jeune moralement. La naïveté est le moindre de ses défauts, et l’amour des choses éthérées n’est point précisément ce qui la tourmente. On pourrait même dire qu’elle est très positive et très réaliste dans ses goûts comme dans ses peintures. Elles entre à peine dans la vie et déjà, elle a l’expérience, l’observation aiguisée, les curiosités sceptiques, tous les