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la porte avant leur premier repas, car ils n’avaient pas de quoi la nourrir.

Mistress Cameron trouva bientôt des objections à cet arrangement charitable. « Je crois, me disait Jane à ce sujet, je crois qu’elle m’en voulait d’être née. » Puis Macvee ne s’était pas gêné pour blâmer la négligence qui livrait une enfant de sept ans à tous les hasards d’un séjour comme celui de la New-Vennel. Sa femme et mistress Cameron engagèrent à ce sujet une discussion de plus en plus aigre, et le tout finit par une lutte en règle, d’où la mère de Jane sortit victorieuse. La petite fille avait grand’peur que les bons voisins ne voulussent plus d’elle après un pareil scandale. Ils la reçurent comme par le passé, lui donnèrent quelques bons conseils, la préservèrent de quelques tentatives odieuses, et il n’aurait pas tenu à eux qu’elle ne quittât, pour se placer dans quelque honnête famille, le triste milieu où ils l’avaient trouvée ; mais les circonstances tournèrent mal pour ces premiers amis que Dieu avait mis sur le chemin de la pauvre enfant. Un beau jour, leur chétif mobilier fut saisi ; l’homme et la femme disparurent sans prendre congé de personne, et Jane retomba dans les mains de sa tendre mère, qui l’envoyait mendier, se faisait exactement remettre tout le produit de ce travail, et soupçonnait toujours sa fille d’en avoir soustrait quelque chose. — Je suis sûre, lui disait-elle, je suis sûre que vous me volez.

Quant à l’homme que Jane appelait son père,… aurai-je le courage de répéter d’après elle qu’à dix ans, remarquée déjà par les habitans de la maison à cause de sa précocité d’intelligence et de ses vives reparties, elle reçut de lui certains conseils équivoques au sujet de ses gains trop minimes, qu’elle pourrait facilement augmenter, à ce qu’il disait. Rendons cette justice à mistress Cameron que, malgré l’ascendant brutal acquis sur elle par ce misérable, elle lui reprochait amèrement de mettre de pareilles idées dans la tête de leur petite ; mais qu’y gagnait-elle ? Une volée d’invectives et de menaces. L’enfant, admise dans une manufacture de coton, rapportait cependant chaque samedi soir deux ou trois shillings, et régulièrement aussi sa mère les dépensait au cabaret le soir même. Vous comprenez que la maison, dans de telles conditions, devint pour une pauvre créature si rudement traitée, si impitoyablement exploitée, un objet d’horreur. Elle n’y rentrait qu’à la dernière extrémité, repoussée d’avance par les scènes qui l’y attendaient. La New-Vennel, entourée d’habitations du même genre, — la Havane, la Tontine-Close, etc., — était parfois le théâtre d’épisodes mystérieux qui, tout endurcie qu’elle fût par les rudes enseignemens de son enfance, glaçaient d’effroi la malheureuse enfant.