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furent l’étonnement et la joie de ces vaillans géomètres quand, après avoir éclairci quarante-deux milles de broussailles et de grands arbres, ils aperçurent devant eux du haut d’une colline, sur une autre éminence assez rapprochée, une déchirure dans l’épais et sombre rideau du bois ! Cette déchirure s’ouvrit de plus en plus et démasqua bientôt l’autre groupe d’ingénieurs venant du côté opposé. Les deux lignes se rencontrèrent ainsi bout à bout : il n’y avait entre elles qu’une distance de trois cent quarante pieds anglais, et cette légère déviation tenait à une erreur d’une seconde seulement, dans la différence de la longitude. L’Angleterre et le gouvernement de Washington s’empressèrent de reconnaître cette limite des deux états tracée sous l’influence du ciel.

L’observatoire de Greenwich ne néglige, on le voit, aucune occasion d’intéresser les astres aux affaires de la vie politique et civile ; mais il demande surtout aux mouvemens des sphères célestes le moyen de mesurer le temps de la journée. Savoir quelle heure il est paraît aujourd’hui une chose bien simple, grâce aux progrès de l’horlogerie, et beaucoup de personnes ne se doutent guère de ce qu’il en coûte pour arriver sur ce point à l’exactitude. Il faut pourtant bien se dire que nos montres et nos meilleures pendules ne tarderaient point à battre la campagne, si nous n’avions de temps en temps le moyen de les rappeler à l’ordre. Nous les réglons d’ordinaire sur les horloges officielles ; mais ces dernières ont elles-mêmes besoin d’être souvent contrôlées par une autorité supérieure à celle des arts mécaniques. Où donc trouver le vrai prototype de l’heure ? C’est à fournir cet étalon du temps que consiste en grande partie le rôle de l’astronome royal, et sa tâche n’est point à coup sûr des plus faciles. Il lui faut chercher en quelque sorte l’heure dans le ciel, et après l’avoir fait descendre sur la terre il doit la multiplier et la répandre au moyen d’instrumens dont la précision ne laisse rien à désirer. Cette branche de la science, l’horologie, cultivée avec un soin extrême à l’observatoire de Greenwich, mérite bien qu’on s’y arrête.


III

« Je vais vous montrer l’horloge qui donne l’heure à toute l’Angleterre, » me dit d’un ton un peu solennel l’astronome royal, et il me conduisit dans une petite chambre basse, occupant à côté du chronographe une des parties les plus anciennes de l’édifice. Qu’on ne s’attende pourtant point à trouver un objet de luxe. Revêtue de sa cage d’acajou, cette horloge-mère, comme on l’appelle, parent-clock, ne ressemble pas mal pour la forme à ces respectables coucous