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convoi de mules enterrées sous leurs besaces de paille chemine en longues files, cavalier en tête, chacune attachée à la suivante par sa queue tressée. Une paire de bœufs courbés sous le joug, que traîne par les naseaux un négrillon demi-nu, roule lentement et silencieusement un chariot pesant à travers le triste village. On bâtit une maison dans la grande rue, chose rare et mémorable comme la construction des pyramides de Thèbes ou de la colonnade du Louvre. Une troupe de maçons nègres grimpés sur l’échafaudage pousse des éclats de rire.et des cris de joie bizarres à la vue de mon parapluie déployé et de mon long paletot de calicot jaune, à la mode des États-Unis. C’est l’heure où un soleil perpendiculaire ne laisse le long des murs qu’une étroite bande d’ombre. Nous nous faufilons sous cette frange amincie, jetant des regards curieux dans les profondeurs sombres des maisons par les portes et les fenêtres toujours ouvertes. Quelques-unes de ces habitations sont à peu près meublées, c’est-à-dire garnies de chaises de canne et de tables branlantes ; la plupart ressemblent à la fois à des caveaux ou à des greniers, caveaux par la nudité, l’obscurité, le mortier sablonneux qui sert de sol, — greniers par les poutres visibles des toitures et les cloisons de planches mal jointes. Des groupes de familles se bercent en silence dans la balanza recourbée, et se détournent à peine pour voir nos personnes étranges. Plus loin, des négresses accroupies et de toute variété, les unes jolies à leur manière, les autres laides comme des démons, font jouer sur le seuil de leurs cabanes de petits magots aux yeux brillans, la tête capitonnée d’une laine fine. Voici déjà le bout de la ville : la rue, commencée en maisons de pierre, se termine ; en huttes d’écorce et de feuillage, entremêlées de cocotiers, et se perd à la fin dans les broussailles qui tapissent la colline. Là les familles à demi sauvages cuisent le repas du jour sur quatre tisons mal allumés, tandis qu’une foule de petits négrillons à gros ventre (les enfans ont ici des panses de Gargantua) folâtrent et se roulent tout nus dans la poussière, vifs et luisans au soleil comme des mouches noires sur un espalier de vignes.

Excelsior ! C’est le titre d’une poésie de Longfellow, et c’est aussi la devise du voyageur en quête de points de vue. S’il rencontre un monticule, vite il faut qu’il y coure, comme le canard à l’eau. Nous gravîmes donc la colline sablonneuse, espérant trouver par derrière une percée sur les grandes montagnes. Nous n’y rencontrâmes qu’un fourré de lianes et de broussailles sèches avec un panorama de la ville et de la côte : au premier plan, les huttes d’écorce, plus bas les toits et les murailles omnicolores, plus loin encore la mer et quelques vaisseaux en rade ; à gauche un clocher jaune, à droite un promontoire bas couvert de forêts ; rien que de commun