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et de vulgaire, sauf ces cocotiers à huppes vertes semblables à des plumes plantées dans une chevelure, et ces quelques palmiers dispersés qui donnent au paysage tant de grâce et de noblesse. Plus près de nous, de gros cactus jaunis parlent de sécheresse et de terres arides. C’est en effet un triste pays que ce revers méridional de l’île, et surtout cette côte ouest du long promontoire montagneux à mi-chemin duquel est située la maigre ville. De tous les fruits que produisent spontanément les grasses plaines du nord ou les côtes fertiles du sud-est, le coco seul peut y croître. Quelques jardinets enclos de bambous abritent des orangers nains, aussi différens de l’arbre majestueux des montagnes que l’olivier de Provence est différent de l’olivier d’Italie. Manzanillo est cependant une ville importante et destinée a un accroissement rapide, puisqu’elle est la capitale de tout ce canton et l’unique débouché des produits de l’intérieur. Elle compte déjà (qui le croirait ?) 6,000 habitans, et l’activité américaine en fait lestement la conquête. À cette heure brûlante où tout repose, vous apercevez encore au fond des comptoirs, par les fenêtres entr’ouvertes du rez-de-chaussée, quelque tête blonde ou rouge, courbée sur un pupitre, et une main rapide, infatigable, qui court sur un registre ; rude vie pour le corps et pour l’âme, et que peut seule soutenir l’énergie surhumaine de ces Yankees aux faces pâles, aux mains maigres, mais doublés de fer, et insensibles à toutes les privations physiques ou morales. Un négociant, de Santiago me racontait tout à l’heure qu’un gros navire de cinq cents tonneaux lui était arrivé récemment de Boston avec quatre hommes d’équipage, y compris le capitaine. Il était parti avec cinq hommes ; l’un d’eux, épuisé de fatigue, avait pris la fièvre, le délire, et il était mort en route : le bateau n’en était pas moins arrivé à Cuba avec ses quatre hommes et une grosse cargaison. Ici, pas de repos, pas de sommeil, pas de précautions hygiéniques : nos quatre matelots travaillent tout le jour au grand soleil et couchent la nuit sur le pont ; en six jours, ils avaient rechargé le navire, et les voilà partis. Ils seront à Boston dans quelques semaines sous la neige, ici de nouveau dans deux mois sous 40 degrés de chaleur. Voilà comment le Yankee fait le commente. Est-il étonnant qu’il conquière le monde ?

Manzanillo, comme toutes les villes du pays, a sa place d’armés plantée de palmiers et sa maison de ville à lourdes arcades. C’est là que passe la rue principale, qui se prolonge au dehors par une toute montueuse où l’on a peine à se figurer que même les volantes et les chars à bœufs puissent passer sur la roche nue, ravinée par les torrens de la saison pluvieuse. C’est sans doute la meilleure et peut-être l’unique voie de communication de la contrée ; mais il